Salle comble pour la Master Class de l’invitée d’honneur du Festival du Cinéma espagnol : Icíar Bollain. Les élèves de Sciences Po Aix ont introduit la séance en rappelant l’importance de cette réalisatrice. Née à Madrid en 1967, Icíar Bollaín a commencé une carrière d’actrice à 15 ans dans El Sur, un film de Victor Erice -devenu un classique, et dont la projection suivait cette rencontre.
Devenue réalisatrice, son cinéma, à la fois social et psychologique, intime et politique, met en avant les femmes, jamais réduites au statut de victimes mais saisies dans un processus d’émancipation et de renaissance. C’est Pilar dans Ne dis rien qui se libère d’un mari violent C’est Nevenka dans L’Affaire Nevenka (https://journalzebuline.fr/laffaire-nevenka/) qui ose dénoncer le harcèlement d’un homme politique jusque là intouchable, c’est Rosa dans Le mariage de Rosa qui déjoue les attentes familiales et sociales, c’est encore Maixabel qui se libère du poids d’un passé traumatique dans Les Repentis ( https://journalzebuline.fr/la-justice-des-sentiments/)
Je te donne mes yeux
Certains parmi les spectateurs venaient de voir ou revoir Te Doy mis ojos, ce film d’Iciar Bollain de 2003 dont le titre français, Ne dis rien, efface cette notion du regard si chère à la réalisatrice. Le titre espagnol est tiré d’un poème sur des femmes en burka : « je te donne mes yeux », paroles d’un homme qui veut posséder, comme Antonio dans ce film, jusqu’au regard de sa femme. Pour Icíar, il s’agira de démonter le mécanisme de l’emprise qui se camoufle sous des paroles d’amour. Et de chercher la vérité émotionnelle. Elle a rappelé, qu’il y a plus de 20 ans, les producteurs ne voulaient pas de ce film. Qui cela pouvait-il intéresser, les violences conjugales ? disaient-ils. Mais si ça pouvait intéresser sa scénariste Alicia Luna et elle, pourquoi pas le public ? Et le film a décroché 7 Goyas !
Quelques féministes lui ont reproché la façon dont elle approchait l’homme agresseur, en lui donnant un vrai regard : Antonio, enfermé dans un modèle masculin oppressif, qui cherche à se soigner. Pour ce projet, Icíar a rencontré des femmes battues dans des cercles de paroles. Elle a constaté qu’elles n’étaient ni idiotes, ni masochistes. Si elles restaient parfois des années avec leurs bourreaux, c’était outre les contraintes économiques ou familiales, qu’il y avait une vraie dépendance affective, une tension entre la peur et l’amour.
Ce refus de tout manichéisme, cette approche documentaire et humaine du sujet, cette implication, cette place du regard – le sien et celui de ses personnages, cette volonté de rendre universel le propos, restent essentiels pour Icíar Bollaín. Pour moi, dit-elle, la réception du film est fondamentale : quand je réalise un film, je voudrais qu’il puisse être reçu à Marseille, en Egypte, ou ailleurs.
Cinéma et réalité
En 2004, un an après la sortie de Ne dis rien, la loi sur les violences de genre en Espagne est votée. Mais, malgré son succès et son réel impact, ce n’est pas ce film qui a fait changer les choses. C’est le long travail des associations et une convergence entre l’évolution des mentalités et les paramètres politiques : un gouvernement de gauche avec une vice-présidente ouvertement féministe. Le cinéma a-t-elle pu déclarer, ne change pas le monde mais il peut parfois changer la manière dont on le regarde
L’affaire Nevenka arrive plus de 20 ans après Ne dis rien. Les faits se déroulent au début de la révolution MeToo. Quand on interroge, Icíar Bollaín sur ces deux films, elle parle d’effet miroir : deux décennies après, qu’est-ce qui a changé ? Elle explique qu’en 2018, Netflix s’est emparé du sujet avec un documentaire. Pour mémoire : à la fin des années 90, Nevenka Fernandez, conseillère municipale à Ponferrada dénonce les agissements du charismatique maire et obtient sa condamnation. Les producteurs demandent à Icíar Bollaín de réaliser un film de fiction.
Comme toujours, elle se lance dans une enquête, rencontre nombre de témoins, et l’avocat de Nevenka – ce qui lui permet d’avoir accès aux documents du procès. La protagoniste et son psy lui font confiance.
Ainsi l’étincelle du film à venir part toujours de la réalité et de sa curiosité pour les hommes et les femmes.
Un autre de ses films Flores de Otro mundo (1999) reprend l’histoire de ces bus transportant des Latino-Américaines et Caribéennes vers des villages espagnols abandonnés pour rencontrer les célibataires qui y restent, et peut-être y fonder des familles. Qu’à cela ne tienne, la voilà, perruquée, des lunettes noires sur le nez, incognito, participant à une de ces caravanes de femmes !
Quand on part d’une actualité, pour elle, il est nécessaire de se renseigner et d’aller au-delà de ce que tous, ont appris par les journaux. Il s’agit de comprendre ! Mon objectif n’est pas didactique, affirme-t-elle, c’est de bien raconter les choses, de faire partager des émotions. Après, si c’est utile, tant mieux.
Le parcours de combattante
Icíar Bollaín revient sur son parcours.
Elle n’a pas fait d’école de cinéma. A appris sur le tas, et sur les plateaux. Elle explique que les acteurs sont aussi des directeurs de jeu et des scénaristes. Quand les rôles sont mal écrits, ils doivent parfois diriger les autres et prendre en main les scènes ; ils inventent en permanence le personnage qu’ils incarnent. Passer d’actrice à réalisatrice a été assez naturel.
Elle a toujours été intéressée par ce qui se passait derrière la caméra. Mais le déclic, elle l’a eu quand pour la première fois en 92, elle est dirigée par Chuz Guttierez, une réalisatrice. Pour une fois, elle n’est pas filmée par « un barbu qui fume la pipe » – selon le look Nouvelle Vague de l’époque. Son premier long-métrage Hola, estas sola ? (Coucou, tu es seule ?) part d’un texte écrit à 20 ans à partir de conversations avec des copines. A un moment où il n’y avait pas beaucoup de réalisatrices, l’exemple de Chuz l’a aidée.
Être réalisatrice, c’est montrer qu’on peut l’être. Elle a en tête, cette présidente africaine qui affirmait qu’elle allait le plus possible dans les écoles pour montrer à toutes les filles qu’elles pouvaient devenir présidentes.
Elle s’est rendu compte à quel point « le cinéma avec des seins » était étrange aux yeux de tous et à quel point le secteur manquait de diversité. Elle a fondé avec l’aide d’autres cinéastes, l’Asociación de mujeres cineastas y de medios audiovisuales (l’Association de Femmes cinéastes et des médias audiovisuels)
L’émotion avant tout
Icíar Bollaín se revendique autodidacte en septième art et éclectique. Elle admire les Frères Dardenne et Bertrand Tavernier. Portrait d’une jeune fille en feu de Céline Sciamma. Elle garde de l’un ou de l’autre, une image, une scène, mais surtout les émotions que leurs films font naître.
Après il y a les rencontres. Ken Loach sur Land and Freedom dans lequel elle joue et sur le tournage duquel elle rencontre son compagnon, le scénariste Paul Laverty. Elle découvre une autre manière d’aborder le cinéma, de donner aux personnages une conscience de classe.
Une heure, ce fut bien court ! Trop de questions sont restées en suspens dans les notes des intervenants et la tête du public. Une petite frustration compensée par la qualité de l’intervention, la générosité et la simplicité de cette grande dame du cinéma espagnol contemporain.
ELISE PADOVANI