Depuis septembre 2019, dans les rues de Marseille puis de France et d’ailleurs, se multiplient les collages de messages en lettres noires majuscules, une par page blanche A4. Ils scandent de courts slogans percutants, « Aimer n’est pas tuer », ou décrivent en détails l’assassinat de femmes par leur compagnon ou leur ex. Leur but : déranger, rendre public, forcer les passants à se rendre compte de la fréquence et violence des féminicides, et à se poser la question de leur propre vécu, de leur responsabilité.

Ils sont devenus si familiers qu’il semblerait que les murs ont décidé eux-mêmes de se parer de ces cris de révolte. Il n’en est rien. Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus retrace l’enquête des journalistes Paola Guzzo et Romane Pellen sur ces collages, en un ingénieux roman graphique sans couleurs ni « rien de superflu » dessiné d’un trait sûr et efficace par Cécile Rousset.
Prenant appui sur leur propre expérience au sein du mouvement et sur divers entretiens de militant·e·s et spécialistes académiques, elles racontent l’initiative de la Marseillaise Marguerite Stern. Comment elle a réinventé ce procédé d’affichage pas si nouveau que ça, sa montée à Paris, la lutte qui devient collective… et la révélation de ses opinions transphobes. L’ex-femen, devenue proche des milieux d’extrême droite, a été exclue du mouvement qu’elle avait créé.
Les débats du féminisme

Mais l’essaimage de groupes de colleureuses ne s’est pas ralenti, incluant les luttes contre d’autres violences, homophobes, transphobes ou racistes, travaillant parfois en mixité, en particulier avec des pères de victimes, incluant plusieurs générations. Le livre documentaire, dense, explique clairement les concepts et débats internes à un mouvement féministe bouillonnant et pluri-générationnel, comment l’exclusion des hommes cisgenres des actions de collages questionne, pourquoi remplacer le terme « colleuses » par celui de « colleureuses ». Il replace l’historique de ces collages dans l’histoire globale du féminisme dans l’optique d’initier un public extérieur à la lutte telle qu’elle se conçoit aujourd’hui, avec toutes ses nuances et son vocabulaire.
Les autrices exposent aussi l’hypocrisie d’un État qui arrête les militant·e·s et arrache leurs collages la nuit, mais les invite au Grenelle contre les violences conjugales. Elles parlent de l’importance de nommer les femmes tuées, de dire les chiffres réels, de sensibiliser et dénoncer. 94 femmes ont été assassinées par leur compagnon ou leur ex en France en 2024. Il n’est pas question de s’en accommoder.
GABRIELLE SAUVIAT
Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus, Paola Guzzo et Cécile Rousset
Actes Sud - 24,90€
Parution le 27 août
Retrouvez nos articles Littérature ici