Dans le cadre de l’Année Cézanne [Lire ici], la ville d’Aix-en-Provence invite ainsi à une multitude d’événements en lien avec le peintre. Mais l’exposition du musée Granet, à découvrir jusqu’au 12 octobre, constitue l’évènement principal de ce retour. Aussi bien au sens géographique (nombre des œuvres exposées viennent de l’étranger), qu’au sens de recommencement. Revenir à ses toiles, dessins, carnets, études.
L’exposition se présente comme une trajectoire chronologique à suivre depuis ses débuts, ceux de « l’avant-Cezanne ». Comme tout jeune artiste, il recopie les œuvres antérieures, s’exerce au dessin académique dans les années 1860. Il s’empare des murs en plâtre du grand salon du Jas de Bouffan et s’adonne, en quelque sorte, à l’art de la fresque qui deviendra par la suite toile.
Ses sujets sont empruntés à une iconographie religieuse, symboliste, décorative comme les quatre saisons. Puis il s’affranchit progressivement de ces divers modèles avec des dessins, études au fusain, usant de recto ou de verso de son support, inversant le haut et le bas pour produire par exemple deux visages différents sur le même feuillet. Il fait et refait, esquisse, précise… Le très beau carnet de Washington ou carnet Chappuis, que l’on découvre, en tournant les pages sur un écran digital constitue un riche laboratoire de son entreprise, de ses repentirs, de ses blancs laissés par des pages blanches.
Naissance du geste
Les premières toiles présentées sont des portraits des proches : père, mère et sœur, amis, notables aixois et autoportraits. Cezanne y travaille le noir des cheveux des tenues, l’immobilité du regard de face ou de profil. Les personnages sont un motif figuratif sur un fond abstrait. Viennent ensuite à l’étage, les paysages où l’organisation visuelle se joue le plus souvent entre verticalité (des arbres) et horizontalité des couleurs telles le vert émeraude des pelouses.
Le Jas de Bouffan offre à Cezanne un véritable terrain de recherche qui s’exprime jusqu’à l’effacement des formes dans les aquarelles. Le paysage est affaire de strates, de plans successifs. La couleur fait l’espace comme elle fera les objets dans les natures mortes. Les cerises, les poires, les pommes, les melons sont autant de compositions qui s’accumulent sur des tables presque en déséquilibre. Tout semble déborder. Le décor est tronqué, rendu à l’état de surface picturale. Les pots et pichets s’ajoutent dans leur rondeur à ce foisonnement. La nature morte ne fonctionne plus comme memento mori des vanités mais bien plutôt comme une quête chromatique et géométrique.
La série des baigneuses mêle l’idée de portait (les femmes nues) et la nature morte avec la dimension végétale des lieux. Ici encore Cezanne ne joue pas sur l’érotisme supposé de telles scènes, très présentes dans l’histoire de la peinture mais plutôt sur une méditation sur ce qui fait geste artistique. Les visages des baigneuses sont insaisissables, déformés, pris dans une sorte de flou vibrant.
Les dernières toiles de l’exposition réaffirment à la fois l’idée d’un chaos structuré (les carrières de Bibémus) : les masses ocres des rochers saturent pratiquement le format complet du tableau et le portrait ultime posé du jardinier Vallier fait presque disparaitre le personnage sous des touches de couleurs irrégulières, cerné par un fond dans le mouvement d’autres touches dans les gris-bleu, et verts. Paul est bien devenu Cezanne.
MARIE DU CREST
Cezanne au Jas de Bouffan
Jusqu’au 12 octobre
Musée Granet, Aix-en-Provence
Échos contemporains
Au bout de la rue Cardinale, le centre d’art Gallifet propose une exposition, Échos de Cezanne, d’une ampleur bien plus modeste mais qui permet de retrouver l’art cezannien, à travers des approches contemporaines. La correspondance avec le peintre aixois se fait à travers la reprise de motifs : la montagne Sainte-Victoire pour Vincent Bouliès ; le crâne des vanités chez Barcelo ; les baigneuses pour Laurent Proux, Nan Goldin, ou Murat Önen ; les natures mortes aux pichets et pommes de Claudio Parmiggiani, de Giorgio Morandi. Les joueurs de cartes sont repris, détournés sur un mode à la fois burlesque, voire grotesque par Felix Deschamps. M.D.C.
Échos de Cézanne
Jusqu’au 28 septembre
Centre d’art Gallifet, Aix-en-Provence
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