mercredi 1 mai 2024
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Cosi fan tutte : les noces de vermeil

Au Théâtre de l’Archevêché, le grand opéra mozartien se refait une vieillesse dans la mise en scène radicale de Dmitri Tcherniakov

L’idée est si brillante qu’on se demande pourquoi elle n’a pas été mise en œuvre plus tôt : et si les couples de Cosi Fan Tutte n’étaient pas constitués de naïfs jeunes gens, mais de sexagénaires ? Et si l’échangisme déguisé qui noue l’intrigue et la succession de coups de théâtre n’avait pas pour but de les déniaiser, mais de réveiller leurs émois premiers ? Cet angle, radical, implique des choix musicaux qui le sont tout autant. Dont celui de sélectionner, pour cette distribution qui fait habituellement la part belle aux voix légères et inaltérées, des interprètes s’étant déjà emparés du rôle il y a une petite trentaine d’années.

Le temps aura davantage épargné les tessitures les plus graves : le Guglielmo de Russell Braun et la Dorabella de Claudia Mahnke ne diffèrent que peu, vocalement parlant, des interprétations habituelles de leurs rôles, et assurent leur partition sans accroc : tout juste y ajoutent-ils une nouvelle touche libidineuse et un autre mode de présence scénique. Les vocalises plus éthérées et fournies de Fiordiligi et Ferrando donnent un peu plus de peine à Agneta Eichenholz et surtout à Rainer Trost. Mais la difficulté technique est vite balayée par la musicalité de l’interprétation, toujours inspirée : l’émotion, teintée de gravité et même de notes de douleur, remplace ici le goût de l’épate. Les partitions moins tendres de Don Alfonso et Despina, devenu ici un couple, sont exécutées avec panache par Georg Nigl et la formidable Nicole Chevalier.

Un Aix relou

Les maîtres du jeu s’y font plus violents et plus capricieux que jamais, y compris l’un envers l’autre : les jeux de rôles et de masques, littéraux, qu’ils proposent à leurs convives se révèlent très vite sordides. Et pour cette génération si identifiable, et cette classe sociale si aisée, les gagnants ne seront jamais les femmes : en cela, la greffe entre cette nouvelle histoire de possession et la machination au cœur du livret opère parfaitement. Et c’est peut-être ce miroir tendu au public même qui engendrera les nombreuses huées lors des saluts, y compris de l’équipe vocale – du jamais vu !

On pourra regretter que les instruments d’époque du Balthasar Neumann Ensemble, sous la direction toujours précise de Thomas Hengelbrock, n’aient que des sonorités rugueuses, des timbres aigres et un phrasé sec à opposer à cette scène manquant déjà d’opulence et de rondeur. Ou reconnaître qu’en cela le plateau et la fosse font parfaitement corps, soutenu par un chœur émanant des profondeurs, aux sonorités étrangement funèbres.

Suzanne Canessa

« Cosi Fan Tutte » est joué au Théâtre de l’Archevêché jusqu’au 21 juillet, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.

Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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