Alors que la Ville de Marseille s’apprête à plancher sur une nouvelle vision de l’Éducation populaire, la question de sa redéfinition se pose à tous les opérateurs culturels, à tous les artistes.
Des générations d’enfants du peuple ont bénéficié de l’immense entreprise de démocratisation culturelle, de décentralisation théâtrale et de l’essor des centres sociaux et des maisons pour tous durant le dernier quart du XXe siècle. Ils savent aujourd’hui ce qu’ils doivent à la volonté militante des comités d’entreprises, des travailleurs sociaux, des éducateurs sportifs, des aumôniers souvent, des cinéclubs, des cours de danse, de musique, d’arts plastiques dispensés pendant les colos au grand air ou à deux pas de chez eux, au pied de leurs immeubles d’habitation. Certains d’entre eux, transfuges de classes et de frontières à un moment où l’ascenseur social fonctionnait à plein régime, sont aujourd’hui nos plus grands artistes, et nos Prix Nobel.
Culture et codes d’accès
Depuis, l’Éducation populaire a été massacrée systématiquement par des baisses de financement idéologiques, opérées par une classe dominante qui a compris que l’éducation du peuple, des masses comme ils disent, menaçait leur hégémonie culturelle. Une classe des riches qui sait que l’hégémonie culturelle est la racine mère de toutes les dominations.
Aujourd’hui les cours des cités construites dans les années soixante sont bétonnées et « parkingisées », les ensembles d’habitations et les établissements scolaires s’entourent de hautes grilles et se protègent par des codes d’accès : l’espace public ne permet plus d’accéder à un espace commun. Plus insidieux encore, l’espace des écrans et des prétendus « réseaux sociaux », concurrence la pratique commune du sport, des arts, du cinéma, de l’écriture, et se présente comme intime et individuel, quand il est globalisant et aliénant. Chacun pense la culture séparée en générations et non en classes sociales, les jeunes méprisant la culture de leurs ainés, les ainés ne comprenant pas la force des cultures « jeunes ».
Quelle éducation populaire dans ce contexte? Rétablir les moyens ne suffira pas. Parce que lutter contre des médias tentaculaires et de plus en plus fascisants avec un bec de colibri est inefficace. Il faudrait, avant tout, réformer les médias et « démonétiser » Hanouna. Mais il faudrait aussi que les nostalgiques old school de l’Éducation populaire comprennent que le monde a changé, et qu’il ne suffit plus de défendre une culture « émancipatrice » venue de notre passé aristocratique, bourgeois, impérial et colonisateur, et faite par de « grands hommes » blancs. Les quartiers populaires recèlent de cultures multiples, foisonnantes, celles des jeunes mais aussi celles des vieilles, des vieux, nécessaires à la construction d’un avenir commun, enfin pluriversel.
AGNÈS FRESCHEL