lundi 18 mars 2024
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Dans l’antichambre de l’irresponsabilité

Mise en scène par Catherine Marnas, A bright room called day questionne notre capacité à résister autant que notre aptitude à l’aveuglement

« L’histoire ne se répète pas, elle bégaie », aurait dit Karl Marx. En sortant de la représentation de A bright room called day (Une chambre claire nommée jour), on aimerait ne pas y croire. Malheureusement la pièce écrite en 1985 par Tony Kushner, si elle ose un parallèle dérangeant entre l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler dans l’Allemagne des années 1930 et l’élection de Ronald Reagan aux États-Unis, ne peut que nous convaincre de la permanence du danger nationaliste voire totalitaire. L’auteur d’Angels in America en est d’ailleurs tellement convaincu qu’il a remanié sa pièce pour cette création mise en scène par Catherine Marnas, y intégrant l’épisode plus récent encore de la présidence Trump. Comment une société perçue comme progressiste peut-elle se livrer à un dirigeant extrémiste dans le cadre d’institutions dites démocratiques ? C’est ce glissement vers un régime liberticide qui est observé ici. Un basculement dont les étapes s’enchaînent de la manière la plus sournoise tel un engrenage irréversible vers un autoritarisme qui annihile les droits que l’on pensait inviolables.

D’aveuglement en résignation

Dans le salon d’Agnès, une bande d’ami·es à haut capital culturel et politique – la plupart baignent dans le milieu artistique et se disent proches des idées communistes – sont les témoins impuissants des événements qui entre 1932 et 1933 conduisent à l’avènement du nazisme. L’alcool, l’opium et les chansons égayent leurs soirées, entre insouciance et bonne conscience. En quelques mois, d’aveuglement en résignation, ces intellectuel·les sont mis·es devant le fait accompli. Le pire n’est plus une menace mais l’actualité face à laquelle ils et elles se trouvent désemparé·es, piégé·es. Côté jardin, devant un écran où défilent photographies et chronologie des faits marquants de l’ascension hitlérienne, Zillah, rockeuse libertaire des années Reagan remarquablement incarnée par Sophie Richelieu, assiste au délitement idéologique et moral de la petite troupe berlinoise. Elle sait bien que la bête n’est pas morte mais tombe des nues, et éclate de rire, quand Xillah – piquant Gurshad Shaheman, avatar de l’auteur de la pièce, lui apprend l’élection d’un certain Donald Trump… De cette double voire triple strate narrative surgissent d’autres personnages, rappelant que, malgré la légèreté qui se dégage parfois de l’entre-soi des convives, le cauchemar devient réalité : une femme fantôme que l’on imagine victime du nazisme, la marionnette du Fürher, le diable en personne.

Se risquer à comparer les anciens présidents états-uniens avec le dictateur nazi n’est pas du tout le sujet de A bright room called day. La pièce rappelle d’abord certains errements politiques, que l’on a tendance à oublier, comme le refus des communistes allemands, téléguidés par Moscou, de toute alliance avec une force de gauche non révolutionnaire, en l’occurrence la social-démocratie, pour former une coalition en capacité d’accéder au pouvoir. Mais la force du tandem Kushner/Marnas est de montrer de manière éclatante, et talentueuse, la frontière ténue entre indifférence et complaisance.

LUDOVIC TOMAS

Une chambre claire nommée jour a été joué le 4 mai aux Salins, scène nationale de Martigues et le 16 mai au Liberté, scène nationale de Toulon
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