mercredi 2 octobre 2024
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Dans le regard des invoyants

Chela de Ferrari adapte librement La Mouette de Tchekhov qu’elle rebaptise La Gaviota, avec une troupe d’acteurs malvoyants ou non-voyants. Un spectacle poétique où fleurissent de très belles scènes

La metteuse en scène péruvienne Chela de Ferrari aime déplacer l’attention pour transformer la lecture d’une œuvre du répertoire. Après Hamlet avec des comédiens atteints de trisomie, elle donne, à l’Autre Scène de Vedène, La Gaviota, accompagnée par le Centro Dramático Nacional d’Espagne. La pièce est portée cette fois par une troupe de douze acteurs dont onze sont malvoyants ou non-voyants. Du célèbre dramaturge russe, la metteuse en scène reprend l’intrigue. Konstantin, le fils de la grande actrice Arkadina aime Nina qui se rêve actrice, qui aime Boris, homme de lettres qui vit avec Arkadina. Un schéma amoureux à sens unique qui se dénoue par une mort soudaine, et dont elle conserve aussi l’ironie propre à l’auteur et le non-sens des désirs et des ambitions humains.

Rendre visible l’invisible

Une ouvreuse presse d’étranges personnes de s’asseoir avec les spectateurs. Ils font en réalité partie du spectacle, en témoignent les premières répliques qui fusent dans la salle. Le public, guidé par Alicia la régisseuse, va assister à la pièce de Konstantin, mise en abyme dans la mouette de Tchekhov. 

Dramaturge, actrices et écrivain, évoluent, donnant l’occasion d’interroger l’inclusivité des lieux de représentation : « Rendre visible l’invisible », c’est l’expression consacrée par la metteuse en scène, nous informe Alicia. Que le décor de facture XIXe siècle soit bien observé puisqu’il sera démonté aussitôt la pièce commencée. Le public sera défié de s’en souvenir au moyen d’une audiodescription… Ainsi l’oreille rend visible, et le dispositif audio-descriptif remplace les didascalies tout au long de la pièce. La musique, composée en direct par Nacho Bilbao, constitue aussi des repères pour les artistes.

Dans cet espace où les corps des acteurs se touchent, tâtonnent, dans les regards qui dévient, se révèle avec d’autant plus de violence l’absurdité des désirs, des amours, des ambitions aveugles. L’écriture joue avec la sémantique : les verbes voir et regarder prennent d’autres sens : « Le futur existe, je peux le voir » s’emballe Nina qui part faire du théâtre à Madrid et s’y brûlera les ailes. 

Chela De Ferrari fait le choix de ne faire jouer qu’un seul acteur voyant dans la pièce, Boris, l’auteur manipulateur interprété par Agus Ruiz. Le cadavre de la mouette en avant-scène, symbole de la mort prochaine de Konstantin est oublié pendant la pièce, rappelé bien plus tard. Et si cette Gaviota s’appesantit parfois dans la démonstration de messages, elle fait aussi naître une grande poésie.

CONSTANCE STREBELLE

La Gaviota
Jusqu’au 21 juillet, L’autre scène, Vedène

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