Sept hivers à Téhéran de Steffi Niederzoll reconstitue le destin brisé de Reyhaneh Jabbari, exécutée le 25 octobre 2014 pour avoir tué celui qui voulait la violer. Le documentaire suit le combat acharné de sa mère, Shole Pakravan, pour essayer de la sauver. Il prolonge ce combat, largement médiatisé à l’époque, dénonce l’oppression des femmes, l’impunité des violeurs et un système judiciaire fondé sur la Charia et la peine de mort. Ce film poignant, qui nous fait partager la douleur des familles, permet aussi d’exaucer un des derniers vœux de Reyhaneh : « voyager avec le vent tout autour du monde » pour arriver jusqu’à nous.
La loi du Talion
En 2007, Reyhaneh a 19 ans. Elle vit à Téhéran avec ses deux jeunes sœurs, dans une famille aisée, aimante, cultivée. Elle travaille à mi-temps comme décoratrice d’intérieur. Elle rencontre un homme qui prétend vouloir réaménager un local. En fait, il s’agit de l’attirer dans un appartement pour la violer. Elle se débat, saisit un couteau qui traîne sur une table, blesse mortellement son agresseur et s’enfuit. La « victime », Morteza Sarbani,est un ancien agent des services secrets, chef d’une famille protégée des autorités jusque dans son « honneur » posthume. Arrêtée la nuit suivante chez ses parents, isolée en cellule, torturée, sans avocat ni contact avec les siens pendant 58 jours, à bout, Reyhaneh signe des aveux remettant en cause l’intention de viol et la légitime défense. Revenue sur ces déclarations extorquées et malgré les incohérences du dossier, s’ensuit une parodie de procès qui aboutit à une condamnation à mort, selon la loi du Talion. Elle passera plus de sept ans en prison, jusqu’à sa pendaison. Non sans avoir subi auparavant les trente coups de fouet pour « relations illicites » hors mariage. Car c’est la règle dans l’Iran des mollahs : si la femme résiste ou se défend, elle est condamnée. Si elle se soumet, elle l’est pareillement.
Tournage sous contraintes
Quand elle rencontre Shole Pakravan ayant fui l’Iran, la réalisatrice allemande Steffi Niederzoll a bien conscience des difficultés de mettre en scène cette histoire. Mais les contraintes génèrent des ruses formelles pour les dépasser et le film qui en résulte en sort lui-même bonifié. Les lieux interdits de tournage seront des maquettes ou des endroits anonymes similaires. Le reste sera évoqué par des gros plans : une porte percée d’un judas, la surface souillée d’une cuvette… La ville, les trajets vers les prisons, sont filmés clandestinement par des opposants iraniens. On entend le témoignage des sœurs, de la mère, des ex-codétenues. Shole montre ses échanges de textos avec le fils de la famille Sarbani. La voix enregistrée de Reyhaneh se mêle à celle de l’actrice Zar Amir Ebrahimi qui lit ses textes, conférant une présence intense à la suppliciée.
Celle qui dit non
Tout en connaissant l’issue tragique, immergé·es dans les événements, nous nous surprenons à espérer avec ceux qui se battent pour la vie de celle qui, en sept ans, est devenue un symbole de résistance, et une jeune femme plus consciente de la réalité de son pays. Car en prison Reyhaneh a rencontré d’autres filles, venues de milieux populaires, droguées, voleuses, vendues ou abandonnées dès leur plus jeune âge par leurs parents, parfois violées par leurs propres frères. Elle les a protégées, soutenues. La jeune fille de 19 ans avait plié aux pressions de ses tortionnaires et signé ce qu’ils voulaient. La femme de 26 ans refuse de démentir la réalité de son agression sexuelle, clause exigée par le fils Sarbani pour lui accorder son pardon et lui laisser la vie. Malgré la peur, elle dit non, rejoignant la lignée des héroïnes que l’injustice n’a pas brisées mais fortifiées, et dont le courage est sidérant.
D’autres hivers sont passés sur Téhéran. Sur les banderoles brandies par les manifestants aujourd’hui, d’autres visages de jeunes gens assassinés par le régime apparaissent. Et le printemps démocratique semble toujours si loin.
ÉLISE PADOVANI
Sept hivers à Téhéran, Steffi Niederzoll
En salle depuis le 29 mars