Le vernissage du nouveau parcours permanent « La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 » Un an après la commémoration des 80 ans de la rafle du Vieux-Port et de l’Opéra, Marseille se replonge dans son passé pour en comprendre les causes. « Un parcours qui revient sur le contexte idéologique, politique et militaire à la source des heures sombres de 1943 », déclare Jean-Marc Coppola, adjoint au maire en charge de la Culture à propos de l’exposition La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 qu’il a inauguré ce 8 février au Mémorial de la Déportation. Ces rafles de l’Opéra et du Vieux-Port ainsi que la destruction des vieux quartiers de Marseille par les nazis surviennent dans une atmosphère de réputation délétère pour la ville. Pour comprendre cela, les commissaires scientifiques à l’origine de l’exposition ont effectué un immense travail de récolte de documentations.
Un travail scientifique et artistique
Les historiens ont analysé les romans, les essais, les journaux, les films et les témoignages de l’époque. Il en ressort que dans les années 1920, la cité phocéenne jouit d’une bonne réputation. Celle-ci attire notamment des artistes d’avant-garde en quête d’aventure. Malgré tout, la haute société voit d’un mauvais œil le cosmopolitisme de Marseille et les années 1930 sont celle du mépris et de la xénophobie. Une société qui selon l’historien Edouard Mills-Affif veut « à tout prix en découdre avec le petit peuple des Vieux-Quartiers qui a le malheur d’être à la fois pauvre et d’origine étrangère, en plus d’être le repaire des prostituées, des bandits, des marginaux et des rouges ».
Le commissaire scientifique revient aussi sur le sens derrière l’affiche de l’exposition : « Il s’agit de l’architecte Eugène Baudoin qui se met en scène en train de mettre un grand coup de balai sur le Vieux-Port. Les intentions sont claires… Les nationalistes en ont rêvé, les nazis l’ont fait ». L’historienne Céline Regnard le souligne, c’est un ensemble de « représentations de la ville [qui] a rendu possible cet événement ». De cette étape préalable de collecte découle par la suite un travail multidisciplinaire à l’origine de l’exposition. Quatre thèmes composent le nouveau parcours permanent du Mémorial, à savoir le cosmopolitisme de la ville, son port colonial, le parfum de scandale du Panier, tout cela amenant à la thématique finale qui traite d’une Marseille vue comme « ingouvernable » et dont on souhaite que les étrangers et leurs habitats mêmes disparaissent.
C’est ainsi qu’avec le soutien volontaire de René Bousquet aux nazis, sur ordre d’Hitler, 1642 personnes – dont la moitié sont juives – sont déportés vers les camps et les 14 hectares des vieux quartiers dynamités. Face à la stupeur, le Mémorial de la Déportation ne reste pas que dans l’analyse, mais laisse une place bienvenue à l’émotion. Les huit créations sonores de l’exposition interprétées par les comédiens Claude Leprêtre et Jean-Rémy Chaize sont accompagnées d’une musique inédite composée par Singhkeo Panya. Pour Edouard Mills-Affif, « la musique y est la voix des habitants des vieux quartiers, le contrepied de ceux qui les regardent en se bouchant le nez. »
Et aujourd’hui ?
Il faut le dire, bien que les circonstances soient loin d’être les mêmes, il n’est pas interdit de faire le parallèle entre ces sombres événements et notre actualité. « Notre pari avec cette expo c’est que le visiteur fasse de lui-même le rapprochement avec notre présent, tellement ces échos du passé résonnent avec ce que nous vivons actuellement » explique l’historien Mills-Affif. Pari réussi tant notre quotidien prend des allures de reflet du passé. Comment ne pas voir dans l’islamophobie actuelle, la même logique que dans l’italophobie des années 1930, qui est une des raisons qui poussèrent les nazis et les collaborateurs à déporter ? Récemment en Allemagne, le site d’investigation Correctiv a publié une enquête révélant que des responsables du mouvement identitaire autrichien ont rencontré des membres de l’AfD pour parler « remigration ». Le même concept putride qu’utilise Zemmour. Comment ne pas y voir un rapprochement idéologique semblable à la collaboration répugnante qui a sévi à Marseille et ailleurs ? Vivre en craignant constamment que se répète le passé n’est pas réjouissant mais nous n’avons en réalité pas le choix. À ce sujet Edouard Mills-Affif emploie une citation de Georges Bernanos : « On vous affirme maintenant, on vous répètera plus tard, qu’il ne faut pas revenir sur le passé. Mais ce n’est pas nous qui revenons sur le passé, c’est le passé qui menace de revenir vers nous ». Pour autant il y a aussi des raisons de se réjouir et d’espérer, la création de ce parcours permanent et le monde présent à l’inauguration en sont des preuves. L’adjointe à la Mémoire Lisette Narducci le rappelle : « Quand on fait histoire, quand on fait mémoire, on fait espoir ».
RENAUD GUISSANI
La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 Jusqu’au 31 décembre 2024 Mémorial de la Déportation, Marseille