De même qu’il aura mis des décennies à véritablement représenter la guerre d’Algérie, le traitement par l’armée française des harkis fut longtemps tu par le cinéma français. Philippe Faucon s’y est attelé, et ce n’est guère une surprise : le réalisateur, qui a grandi au Maroc et en Algérie, s’est en effet déjà intéressé à plusieurs reprises au conflit armé, notamment il y a quinze ans avec l’âpre La Trahison. Il ne déroge pas, avec Les Harkis, à ce qui a fait le succès de son cinéma, ni à son goût de la complexité, ni à son choix de l’épure. Quitte à livrer, malgré sa justesse, un de ses longs-métrages les plus amers.
Par nécessité
Car l’horreur sommeille ici au moindre recoin. Elle apparaît dès l’ouverture, qui donne à voir une famille épouvantée par la découverte de la tête décapitée de leur fils aîné. Le récit qui suit est ainsi déjà marqué du sceau de la tragédie. Le frère du harki exécuté par le FLN s’engagera dans l’unité paramilitaire de son frère, avec l’idée folle de parvenir à sauver sa famille de ce qui l’attend. On croisera dans cette harka différents jeunes hommes venus servir l’Algérie française par nécessité davantage que par conviction. C’est le cas de Salah (Mohamed Mouffok) et Kaddour (Amine Zorgane)que la caméra suivra tout en s’attardant sur d’autres visages résignés. Celui de Krimou (Mahdi El Hakmi), présenté au spectateur le temps d’une scène de torture brève mais insoutenable, demeurera insondable. Comme tant d’autres, Krimou n’avait tout simplement pas le choix.
Le récit est d’autant plus poignant qu’il se déploie dans une économie de moyens et d’effets, confinant au documentaire. Il ne s’agit ici ni de célébrer, ni de juger ces personnages, mais bel et bien de constater l’impasse dans laquelle ils se trouvaient. Les fellaghas auxquels ils se confrontent n’ont rien des monstres indomptables que l’armée française leur décrit. Et tous les soldats français défilant à l’écran ne sont pas non plus d’immondes salauds. Le lieutenant Pascal, incarné avec conviction par Théo Cholbi, se révèle tout aussi révolté par leur traitement que le spectateur. Quitte à se retrouver un peu trop au centre, alors que le cinéaste préférait jusque là considérer la troupe dans son ensemble – seul reproche esthétique, mais donc éthique, que l’on saurait formuler à l’égard du film. Le tout s’achève dans une atmosphère suffocante, préfigurant le massacre de quelques 50 000 d’entre eux.
SUZANNE CANESSA
Les Harkis de Philippe Faucon
Sorti le 12 octobre