L’autrice, rompue aux complexités de l’écriture de scénarios au cinéma, l’est autant que la narratrice, dans ce deuxième roman. Le genre scénario donne au texte une dimension profondément dialogique. Il explore la part intime, émotionnelle et identitaire des relations humaines, ici entre une grand-mère et une petite-fille qui pourrait bien être Carine Hazan elle-même. Tout est destiné à souligner l’intensité et le sens de cette relation : un cadre, un hôtel perdu dans les Alpes australiennes, un passé, celui de la Shoah et de l’exil, une filiation, matrilinéaire et fragile, un récit, mi-fiction mi-témoignage, transformant l’épreuve indicible en mémoire réappropriée, la survie en vie.
Le récit, hybride, entre essai historique, autofiction, thriller et comédie noire, exprime et performe le pouvoir salvateur de la fiction, bribes de souvenirs réinterprétés, que la vieille dame juive polonaise transmet à sa petite-fille. Au-delà des mots, il y a les actes : se venger, avec la complicité de sa petite-fille, supposée imaginative et pleine de ressources, en assassinant son dernier boyfriend, Carl Schubert, qu’elle soupçonne d’être un ancien nazi.
Boulevard des assassins
À partir de là, le roman prend la tournure d’un théâtre de boulevard du crime, au burlesque tragique : séquestration, dissimulation, suite de quiproquos, situations absurdes. Il masque la question, profonde et grave, sous-tendue par le texte, entre reconstruction post-traumatique, vengeance et justice. Prendre le pouvoir sur le bourreau, c’est, individuellement, reprendre le pouvoir sur l’histoire de sa vie, avant l’exil et la perte des siens, c’est, collectivement, résister contre le silence et l’oubli.
La langue de Carine Hazan emprunte au théâtre sa vivacité, son esprit caustique et ses rebondissements, aux scénarios ses rythmes, ses fragmentations et ses raccourcis, se passant notamment, dans les moments les plus tendus, de ponctuation. Le texte est comme un fil qui vient recoudre le fil de la grande Histoire, à l’échelle concrète du témoignage vivant et survivant.
Les thèmes abordés dans le roman résonnent avec les enjeux du présent, entre réparation, reconstruction, réconciliation ou encore prise en considération du rôle des femmes, trop souvent oubliées par l’Histoire.
FLORENCE LETHURGEZ
Vies et survies d’Elisabeth Halpern, de Carine Hazan
Phoebus
Retrouvez nos articles Livres et Littérature ici