mercredi 2 octobre 2024
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Défaite dans un verre d’eau

L’Opéra Grand Avignon livre une Rusalka scéniquement peu inspirée

L’Opéra Grand Avignon dispose décidément de moyens rares et inespérés. À commencer par la qualité de l’Orchestre National Avignon Provence qui, sous la direction musicale de Benjamin Pionnier, sublime la délicatesse de la partition de Dvořák, pétrie d’influences folkloriques et d’un tragique tout droit sorti de chez Wagner. 

Même son de cloche du côté de la distribution vocale, irréprochable : la princesse d’Irina Stopina impressionne, de même que la basse tchèque Wojtek Smilek, grand connaisseur du rôle de Vodnik. Le prince, campé avec vigueur par le ténor ukrainien Misha Didyk, bénéficie d’une projection à toute épreuve, tandis que le rôle-titre, tenu par la soprano arménienne Ani Yorentz Sargsyan, s’érige tout en aplomb et en délicatesse, notamment sur le célébrissime chant à la lune du premier acte porté par son très beau timbre sombré. Sans faute également du côté des facétieuses nymphes – Mathilde Lemaire, Marie Kalinine et Marie Karall, à la complicité tangible.
Tout aurait donc pu être réuni pour que cette collaboration entre Bordeaux, Nice, Marseille et Toulon, sublimée par ses chœurs, compte parmi les productions opératiques les plus réjouissantes du pays, sur cette saison ou la suivante. Mais il y a fort à parier qu’elle ne fasse parler d’elle que l’effarante bêtise de sa mise en scène.

Fermer les yeux

 Il y aurait pourtant eu tant à dire aujourd’hui de cette petite sirène adaptée très strictement d’Andersen par Dvořák et son librettiste. Devenue alors allégorie d’une impossible union entre peuples, Rusalka pourrait aujourd’hui revêtir les traits originaux de l’homosexualité tue, se faire transgenre, transclasse … Car nombreuses sont aujourd’hui les déclinaisons de ce mythe évoquant en premier lieu la mue de l’adolescence.

Mais les metteurs en scène Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeil se sont contentés d’explorer deux idées  peu inspirées. La première consistant à faire des sirènes une équipe de natation synchronisée, avec force vidéos et chorégraphies embarrassantes à l’appui. La seconde consistant à piller toutes les piteuses idées du déjà dispensable clip que Luc Besson consacra à Pull Marine : tête dans un aquarium, poissons en chocolat et piscine gonflable. Le tout est d’une misogynie à couper le souffle : talons aiguilles vertigineux contraignant toutes les chanteuses à une immobilité certaine ; scène de viol greffée au livret sans explication aucune, dans un opéra labellé pourtant « opéra en famille ! ». 

Un accident industriel inexplicable.

SUZANNE CANESSA

La production, partagée avec les autres opéras de la région dans le cadre de l’initiative « Opéras au Sud », fera escale à Nice du 26 au 30 janvier, et les saisons prochaines à Marseille et Toulon.
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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