Gabriel Calderón a écrit son monologue pour Joan Carreras, véritable icône du cinéma, de séries télé et de la scène catalane. Bête de scène dit-on, monstre sacré, comme si jouer un personnage, profession si longtemps vouée à l’excommunication, gardait quelque chose de sulfureux. Alors, incarner Richard III ?
Shakespeare croyait à la détermination physiologique des êtres, à la « théorie des humeurs » qui essentialise les caractères humains. Richard, né difforme, ne pouvait qu’être un monstre, s’emparant du pouvoir par le meurtre et le viol, assassinant à la chaine, séduisant pourtant, très étrangement, la femme du prince qu’il vient de tuer, tout près de son cadavre encore chaud.
« Now is the winter of our discontent. » Maintenant est le temps de Richard, du monstre au pouvoir. Història d’un senglar (o alguna cosa del Ricard), commence ainsi, comme la tragédie shakespearienne, par le numéro d’un comédien de seconds rôles aigri, solitaire, rejeté par sa famille, qui enfile comme un gant l’identité du roi monstrueux.
Et le devient. Mettant peu à peu à la porte les autres comédiens, soumettant les actrices, ridiculisant son metteur en scène, annihilant ses ennemis puis ses alliés, détruisant finalement son royaume. Tirant les ficelles de sa propre mise à mort (d’acteur), qui interviendra au terme, alors qu’il clame non pas « mon royaume pour un cheval », comme Richard sur le champ de bataille ultime, mais « mon royaume pour un spectateur intelligent ». Un seul, pour comprendre son absolue incarnation du mal.
Numéro d’acteur
Joan Carreras, seul face aux spectateurs sur son siège trône, est sidérant, constamment sur le fil entre les deux personnages qu’il incarne et qui se contaminent, aux frontières entre les deux monstres. Et jouant aussi les monologues de Lady Anne, qui renonce à agir pour mieux haïr, et de la mère de Richard, qui le désavoue en un fabuleux moment de reniement maternel.
L’essence de la violence shakespearienne apparaît là, entre les mots et les maux qu’ils font naître, la puissance d’un verbe qui transforme les rancœurs en massacres. La scène peut-elle cela, le jeu, la soif d’incarner face au public ? En ce moment où les abus de pouvoirs de nombreux metteurs en scène, et acteurs, jettent le doute sur certains agissements de la profession, ce « porc senglar », sanglier singulier, en est une incarnation prodigieuse… apte pourtant à déclencher l’admiration, et le plaisir, d’un public conquis. Non par l’acteur qui joue Richard, mais par le fabuleux comédien qui l’incarne !
AGNES FRESCHEL
Història d’un senglar (o alguna cosa del Ricard)
Jusqu’au 20 juillet, Théâtre Benoît XII, Avignon