lundi 27 janvier 2025
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DIASPORIK : Le projet de Mussolini à Marseille

Stéphane Mourlane, historien de l’Italie contemporaine, présentait son ouvrage Fascisme et Italiens de Marseille dans les murs mêmes de l’Istituto italiano di Cultura, ex Casa d’Italia mussolinienne

C’est devant un public nombreux, concerné par l’histoire des Italiens de Marseille que le chercheur a entamé sa conférence illustrée, entrant immédiatement dans le vif du sujet. Pour Mussolini, dès 1922, « l’émigration » est une politique, puisqu’ « il s’agit d’envoyer le génie de la race italienne à travers le monde ». Ne pouvant endiguer les vagues migratoires (9 millions d’Italiens quittent leur pays entre les deux guerres), il les enjoint à « rester italiens », en particulier en France où le droit du sol permet aux immigrants une intégration en deux générations.

En 1935, au moment de l’inauguration de la Casa d’Italia de Marseille, il y a 120 000 Italiens non  naturalisés à Marseille, deuxième ville italienne hors Italie, et après New York. Soit un Marseillais sur cinq, et 9 étrangers sur 10. Mussolini veut y construire « un fortin de l’italianité la plus pure » pour contrer leur intégration en cours dans la société marseillaise, malgré des actes racistes fréquents et violents. Pour cela, il acquiert une société de bienfaisance italienne à l’angle de la rue d’Alger et de la rue Pauriol, et y installe le consulat d’Italie, mais aussi le fascio marseillais, les jeunesses fascistes, des activités culturelles, caritatives et un dispensaire. En 1935, le bâtiment de la société de bienfaisance est détruit et la Casa d’Italia édifiée. Elle demeure, aujourd’hui, le seul exemple d’architecture fasciste en France.

Entreprise de propagande

Cette histoire pose aujourd’hui des abîmes de questions : que faire de cette mémoire et tout d’abord, la connaît-on vraiment ? Stéphane Mourlane, en bon historien, n’avance que des données qu’il a pu documenter, prudemment. Les fascistes sont sans doute peu nombreux à Marseille – un peu plus de « 1000 encartés » explique-t-il, et les antifascistes actifs guère davantage. Si les antifascistes fuient le régime, la migration est généralement multifactorielle, et majoritairement économique : le point commun des Italiens de Marseille est d’être pauvres. Des prolétaires. 

La Casa, qui se veut discrète, laisse l’espace public aux anti-fascistes et « interdit le port de la chemise noire hors les murs ». Elle va attirer les Italiens en distribuant des colis alimentaires, en construisant un gymnase, une salle de billard très prisée, une chapelle et surtout des écoles. 

Ce sont 1200 élèves qui sont scolarisés en 1935 dans les 3 écoles italiennes de Marseille (La Casa, une école à l’Estaque et une à la Belle de Mai). En italien, avec des enseignants fascistes envoyés par Rome, qui commentent la saleté et l’indiscipline de ces enfants de prolétaires – l’historien a de nombreux documents ! Les enfants sont enrôlés pour des cérémonies officielles, des camps, des activités paramilitaires.

Le théâtre de 500 places étant souvent plein à craquer pour les activités de loisir du dopolavoro (les activités après le travail), le Théâtre Verdi, à côté, est construit : une salle de 1500 places qui demeurera après la guerre un des plus grands cinémas de Marseille, avant sa vente et sa transformation en résidence d’habitation.

Mémoire de guerre

L’histoire change en 1938, quand l’Axe Rome-Berlin se forme et que Mussolini veut annexer Nice, la Savoie et Hanoï. L’Italie rapatrie 9000 Italiens de Marseille à Rome, la Casa est fermée pour rouvrir après la défaite de 1940 et accueillir la délégation civile italienne, puis durant l’occupation nazie le service de recrutement du STO. 

Libérée par le FTP MOI, et en particulier par les Italiens communistes, il est probable que ceux-ci ont détruit les bustes, statues et fresques fascistes, même si certains témoignages tendent à montrer que dans la chapelle elles ont perduré longtemps. Sont-elles encore-là, sous la chaux ? L’historien et le directeur de l’Istituto ne le savent pas…  mais s’interrogent tous deux sur l’avenir de cette maison à la mémoire si complexe. « L’Italie fasciste n’avait pas les moyens de sa propagande, et celle d’aujourd’hui ne sait pas quoi en faire : les trois consuls précédents étaient nommés pour liquider la maison et sa mémoire », explique le directeur. 

L’historien pense qu’il ne faut pas la glorifier « évidemment », mais ne pas la « canceler » non plus, qu’il est important de la connaître. La Ville de Marseille tient aussi à conserver ce petit bout d’Italie qui aujourd’hui propose des cours de langue et de culture, mais n’a pas les moyens d’être un centre culturel et de mémoire. 

La question de la valoriser reste posée : est-ce pertinent à l’heure où le gouvernement italien veut réhabiliter une certaine mémoire du fascisme ? Doit-on renoncer à ouvrir les placards de cette histoire sulfureuse, de ses liens avec Spirito et Carbone qui fréquentaient la maison, et portaient sans doute des enveloppes à Simon Sabiani ? L’historien, sans rien affirmer, admet que ce lien entre la Casa fasciste, la mafia marseillo-corse et l’édile collaborationniste est probable. 

AgnÈs Freschel

Cette rencontre a eu lieu à l'Istituto Italiano di Cultura Marsiglia
Fascisme et Italiens de Marseille
Stéphane Mourlane
Editions Le temps de l’histoire

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