Zébuline. Pourquoi une exposition sur Don Quichotte ?
Aude Fanlo. Après Giono, Genêt ou Flaubert nous poursuivons la ligne éditoriale d’exposition littéraire, et Don Quichotte est sans doute le héros romanesque le plus emblématique d’une culture à la fois populaire et littéraire. C’est un phénomène de société qui s’inscrit dans une histoire culturelle globale et qui a évolué : d’abord personnage carnavalesque, renversé, puis génie incompris romantique puis, avec Foucault, héros post-moderne. Nous avons pris le parti du rire, de la farce, de la fantaisie, du loufoque. Mais le rire est sérieux aussi.
Hélia Paukner. Oui, on rit du cocasse, du festif, du burlesque, mais il y a aussi un rire sérieux, c’est à dire ironique et politique. Cervantès écrit son roman dans une Espagne déchirée par le dogmatisme. Les morisques [musulmans convertis par contrainte, ndlr] sont expulsés en 1609, les juifs sont expulsés depuis 1492, et les marranes [juifs convertis par contrainte, ndlr] sont persécutés et brûlés. Dans la péninsule ibérique il est très dangereux d’écrire. Le personnage du morisque Ricote n’est possible que dans un roman burlesque.
A.F. La fiction permet des espaces ouverts dans lesquels tout peut se renverser constamment, le vrai et le faux se confondent. Un espace de jeu dont Cervantès s’empare, et qu’il laisse ouvert à ceux qui héritent de son personnage.
Comment ces facettes de Quichotte apparaissent-elles dans l’exposition ?
A.F. Nous n’avons pas choisi de faire une exposition historique sur l’évolution de la réception de l’œuvre, nous proposons un parcours de lecture des différents épisodes, avec des digressions historiques… totalement anachroniques ! Le cheminement du mythe est une énigme : comment ce vieux qui retombe en enfance, qui finit véritablement gaga, a t-il pu devenir la figure de l’hispanité, du génie inspiré, de l’idéaliste ? Note parti pris est d’exposer ces changements de polarité en suivant le fil du roman, mais en déplaçant constamment les époques de réception.
H.P. La vitalité du mythe est sidérante, Don Quichotte est le titre d’une infinité de journaux, d’une multiplicité d’images, de représentations de tous ordres, de citations. Erri de Luca écrivait « il est tout le temps par terre mais il se relève et il est invaincu ». Son mythe aussi, comme son personnage.
De quelles pièces est composée l’exposition ?
H.P. Ce n’est pas une exposition didactique, nous avons parié sur la bigarrure, plus de 200 pièces s’entrechoquent. Une gravure de Goya voisine avec une publicité pour un pansement, la première tapisserie représentant le personnage avec des œuvres d’art contemporain, des Unes de journaux…
A.F. Nous avons des œuvres rares, de Dali, Picasso, Daumier, les photographies d’Abraham Poincheval traversant la Bretagne en armure… Et beaucoup de cinéma. Des extraits de 3 ou 4 minutes, du film impossible d’Orson Welles qu’il n’a jamais fini de tourner, de celui de Terry Gilliam qu’il a fini par finir au bout de trente ans, de la comédie musicale de Brel L’homme de la mancha. Et d’autres films qui reprennent et déplacent le mythe, en particulier Hassen Ferhani à Alger… Et des chansons populaires, des objets du quotidien, des bandes dessinées, des éditions originales.
Cette abondance et cette variété résolvent-elles le mystère de l’évolution du mythe ?
A.F. Je ne crois pas qu’on puisse résoudre cette énigme, qui est fondamentalement aussi insoluble que ce drôle de faux chevalier errant… seulement en rire et montrer combien cette bigarrure est prolifique !
Votre catalogue est également assez particulier, avec des parcours à option selon des profils de lecteurs…
A.F. Oui nous l’avons conçu comme un « livre dont vous êtes le héros », pour les geeks, les fêtards, les chineurs, les militants, les faussaires… Comme l’exposition on peut le lire en changeant de parcours, et de profil !
ENTRETIEN REALISE PAR AGNES FRESCHEL
Don Quichotte
Histoire de fou, Histoire d’en rire
A partir du 15 octobre
Mucem, Marseille
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