Un piano à queue solitaire patiente tandis que les spectateurs s’installent, en fond de scène un lourd rideau rouge dont l’éclat est magnifié par les délicates dorures en volutes de la salle. Rendez-vous est donné aux amateurs de beaux mots, lundi 8 mai, dans le cadre intemporel de la salle Molière de l’Opéra Comédie. L’invité ? Oxmo Puccino, poète du réel et conteur urbain des instants quotidiens, qui maîtrise depuis longtemps l’art d’aiguiser les mots comme de les dire. Pas de concert en vue toutefois, mais une lecture musicale de son dernier ouvrage, Marcel, paru en octobre 2022 aux éditions J.C Lattès, soit l’année du centenaire de la mort de Marcel Proust (1871-1922). Ce dernier, mythique auteur de Du côté de chez Swann, Oxmo Puccino l’a découvert à travers la lecture d’ouvrages de la psychologue Alice Miller, spécialiste de la question de l’enfance. Une révélation littéraire pour le rappeur franco-malien qui était il y a peu sur la scène parisienne du 13e art aux côtés de l’actrice Françoise Fabian pour Marcel, un spectacle immersif et sonore adapté d’après l’œuvre de de Proust À la recherche du temps perdu.
Questionnaire
Faite à l’invitation de La Comédie du Livre – 10 jours en mai, cette lecture musicale est l’occasion pour les nombreux admirateurs montpelliérains d’Oxmo Puccino de découvrir des extraits de son ouvrage atypique Marcel, portrait en clair-obscur construit autour du fameux « questionnaire de Proust ». Soit 35 questions (pour 34 réponses !) issues d’un test de personnalité très populaire à la fin du XIXe siècle, dont la personnalisation des questions tout comme la sincérité des réponses de l’écrivain sont devenues célèbres. Notamment celles rédigées à l’âge de 19 ans dans une version authentifiée datant de 1890.
Vêtu de noir sans fioritures, inhabituelles lunettes sur le nez, Oxmo Puccino met tout le monde à l’aise dès qu’il se pose devant le micro grâce à la chaleur d’une voix facilement reconnaissable, à la sincérité d’un léger zozotement… et à un large sourire qui décongèlerait n’importe quel auditeur rétif. Plutôt que de lire son texte à la chaîne, l’auteur a décidé de laisser les spectateurs décider des questions dont il lira ses réponses en prose. Autant dire que les questions fusent rapidement dans la salle, assez pour que le rappeur s’en amuse, n’hésitant pas à rajouter des commentaires enjoués, savourant visiblement ce jeu de dextérité verbale qui brise d’un coup les barrières entre lui et son public parce que quand même « on est là pour rigoler ».
L’impossible dialogue
À travers 14 questions, et donc 14 réponses, l’artiste dresse son « autoportrait littéraire » raisonné, affirmant souhaiter « à tous de trouver l’accomplissement au travers d’une passion », regrettant « l’impossible dialogue » entre les deux sexes, parlant de son amour du street-art comme de celui des toiles du Caravage, soulignant l’importance de la défense du droit des enfants, citant des poètes qui l’inspirent comme Paul Éluard ou Boris Vian… À travers cette auto-interview, entre lecture de son manuscrit et transitions improvisées, il aborde son rapport à l’injustice, la responsabilité de l’artiste, les dédales du temps qui passe, l’urgence de savourer les moments de repos, la nécessité de ne jamais laisser tomber… Et tant d’autres choses !
Si Oxmo est accompagné par le musicien Jérémy Chatelain (ex-chanteur de la Star Academy devenu producteur-compositeur de l’ombre au talent recherché), dont le rôle est quasi inutile pendant les lectures d’extraits du livre, cela donne une puissance incomparable à son interprétation en piano-voix de chansons incontournables : Soleil du Nord, Enfant Seul, 365 jours et J’te connaissais pas. De quoi avoir quelques frissons, la larme à l’œil pour certains tandis que d’autres chantonnent presque sans s’en rendre compte, le tout dans une intimité inégalée avec un artiste à la générosité scénique hors pairs qui disait quelques minutes plus tôt : « Ce qui est le plus important dans la vie est ce qui se passe entre la première et la dernière seconde ». Il suffisait de regarder les yeux pétillants des spectateurs sortant de la salle pour comprendre qu’ils avaient passé un moment magique… de la première à la dernière minute.
ALICE ROLLAND
La lecture-musicale D’Après Marcel a été donnée le 8 mai à l’Opéra Comédie de Montpellier.