Zébuline. Comment est né votre Birgit Ensemble ?
Julie Bertin. En 2013 au Conservatoire de Paris. Jade et moi devions monter un spectacle avec notre promo, et nous avons eu immédiatement l’envie d’écrire avec l’équipe, de monter une grande fresque épique historique. Pour montrer que notre génération, qu’on dit dépolitisée, ne l’est pas.
Jade Herbulot. On est tous et toutes né·e·s autour de 1989, on a posé les fondements esthétiques du Birgit Ensemble autour de la chute du Mur de Berlin, en mêlant l’histoire européenne contemporaine à notre histoire intime.
JB. Et rapidement le spectacle est sorti de l’atelier, on l’a joué au Centre dramatique de Saint-Denis…
Effectivement le Birgit Ensemble a très rapidement été programmé dans des théâtres nationaux, au Festival d’Avignon… Comment l’avez-vous vécu ?
JB. C’était vertigineux, c’est arrivé vite, on voulait continuer à présenter de grandes formes, mais sans tout à fait avoir conscience des réalités de la production.
JH. Les Suppliques sont un format plus réduit, avec quatre interprètes, un homme et une femme autour de la vingtaine, et deux autres plus chevronnés. Une autre génération d’acteurs.
Ces suppliques sont des lettres écrites au Maréchal Pétain, ou au commissariat général aux questions juives, pour réclamer des nouvelles des déportés. Comment en avez-vous fait un spectacle ?
JH. Nous avons conservé six lettres, il en existe des milliers, retrouvées par Laurent Joly [historien ndlr] dans les archives nationales. Nous avons choisi une variété générationnelle donc, mais ausside classe sociale et de situation administrative.
JB. Ces lettres sont le point de départ de notre enquête, puis de notre écriture. On voulait les faire entendre mais aussi faire voir le hors-champ. Qu’est-ce qui peut conduire des juifs à écrire au maréchal Pétain ? Avec Laurent Joly, avec la documentariste Aude Vassalo qui a complété les lettres avec d’autres archives administratives et généalogiques, nous avons reconstitué le puzzle de ces six histoires. Puis écrit et comblé les blancs.
N’est-il pas délicat, sur un tel sujet, d’ajouter de la fiction à l’histoire ?
JB. Si la fiction ne vient pas trahir le réel, si elle dit qu’elle est de la fiction et qu’elle cherche à éclairer les faits, je ne crois pas.
Vous avez fait le choix de suppliques entre 1941 et novembre 42. Pourquoi ces dates ?
JH. On déploie les tableaux de façon chronologique, 42 est l’année de bascule du Vel’d’Hiv, mais on retrouve des lettres dès 1940 et tout au long de la déportation les juifs. C’est étrange d’écrire à son bourreau. Ils mettent en avant leur intégration, leur nationalité, leurs faits de guerre, ils cherchent à composer avec l’administration, avec le haut commissariat aux questions juives…
Comment cela résonne-t-il aujourd’hui ?
JB. Nous avons repris le spectacle en janvier à Paris, nous ne l’avions pas joué depuis un an. Depuis la montée des nationalismes et l’accès de Trump au pouvoir. Les spectateurs sont sonnés, l’un m’a dit « mais cela parle de notre futur, pas de notre passé … ». Nous nous méfions des analogies faciles, mais dans les archives de Vichy, dans les ordonnances qui sont lues tout au long du spectacle et qui retirent leurs droits aux Juifs, on retrouve des éléments de langage, une rhétorique qui est celle de Trump, de Meloni et de la droite radicale actuelle.
JH. Aujourd’hui ce spectacle sonne comme un avertissement, une injonction à la vigilance : oui, le pouvoir peut se mettre à persécuter légalement les minorités.
JB. Et cela va très vite. En deux ans Vichy a fait ce que l’Allemagne nazie avait mis 10 ans à faire.
ENTRETIEN REALISE PAR AGNÈS FRESCHEL
Les Suppliques
12 et 13 mars
Le Zef, Scène nationale de Marseille
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