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Écrire pour ne pas tirer

À Aix-en-Provence, Sorj Chalandon a présenté le Livre de Kells, celui d une jeunesse marquée par la fuite, la rue, les illusions politiques et la force des mots

Sorj Chalandon aime les itinéraires de vie à la Dickens, Jules Vallès ou Ken Loach. Et nous lecteurs, adorons ce bourru au grand cœur qui écrit avec ses colères et blessures qui font écho aux nôtres. Nous étions donc nombreux dans le jardin du Couvent des Prêcheurs à Aix à l’invitation de la librairie Goulard dans le cadre des Tournées Générales de l’association Libraires du sud. L’Assemblée rit, d’emblée, à une grimace de Chalandon quand son intervieweuse le qualifie de « géant de la littérature ». Chalandon n’aime pas se prendre au sérieux, même si ces livres sont graves et tendres.

La rue : solitude et survie

Le Livre de Kells est une autobiographie romancée. Tout commence avec un sac, celui qu’il emporte à 17 ans en fuyant la violence paternelle. Dedans, trois objets : une carte postale de Guignol, symbole de rébellion populaire ; un exemplaire de La Nausée de Sartre, détesté par son père raciste et antisémite, donc d’autant plus précieux ; et une carte postale d’Irlande envoyée par son ami Jacques, ce camarade dont la famille progressiste et aimante tranchait avec la sienne – « Chez moi, les seuls livres étaient une biographie de Hitler et un ouvrage sur les Waffen-SS ». Cette carte représente le Livre de Kells, évangéliaire enluminé du IXe siècle, aux entrelacs foisonnants. « Quand dans la rue on ma demandé quel était mon nom, jai répondu : Kells ». Nous sommes en 1952. La jeunesse vit au rythme de la Beat generation. Chalandon rêve de Katmandou, d’Ibiza mais aboutit à Paris. Les premiers cercles qu’il fréquente sont ceux d’une jeunesse perdue, se délitant dans la drogue et le vol : « Je navais pas quitté mon père fasciste pour me retrouver dans la déchéance », explique-t-il. Alors, il s’éloigne. « Mais ce qui me faisait atrocement peur, c’était la solitude », confie-t-il.

Une famille militante

Un soir, gare Saint-Lazare, il croise d’autres jeunes. Ils vendent un journal, La Cause du peuple aux cris de : « Non au racisme anti-jeunes ! » Ce journal est d’extrême gauche. « Je ne savais pas ce que c’était, mais je savais que mon père détestait », dit-il avec un sourire.

Ces militants l’invitent à l’université de Jussieu. Chalandon n’a pas le bac, n’est pas étudiant, mais il franchit la porte. Avec eux, il découvre la solidarité mais aussi la violence politique, admise alors comme mode d’action. « La France des années 1970 était violente partout : la police, lextrême droite, lextrême gauche. La guerre dAlgérie n’était pas loin », rappelle-t-il. Mais surtout, c’est auprès d’eux qu’il découvre la littérature, le cinéma, les musées. Ces jeunes lui transmettent le goût du savoir. Une nouvelle vie commence.

Écrire plutôt que tirer

Chalandon raconte cette époque où l’extrême droite défilait – déjà – contre « limmigration sauvage » et où l’extrême gauche croyait rejouer l’histoire des partisans. Les cortèges de plusieurs milliers de jeunes casqués affrontent les forces de l’ordre dans Paris.

L’enterrement de Pierre Overney, ouvrier de Renault abattu en distribuant des tracts antiracistes, réunit 200 000 personnes. « Ce cercueil, c’était lenterrement du gauchisme », analyse Chalandon. Là où certains choisissent la lutte armée, lui prend une autre voie : Libération, né de ceux qui voulaient écrire plutôt que tirer. Chalandon n’oublie pas le désarroi laissé aux ouvriers qui avaient cru aux lendemains qui chantent. « Vous repartez à la fac, et nous on retourne à lusine », disaient-ils. « Les dégâts ont été considérables », reconnaît-il.

Le rapport à la fiction

Chalandon insiste sur sa difficulté à inventer. « Le terrain de la fiction pure me terrorise ». Il n’écrit que ce qu’il a vécu : la violence paternelle (Enfant de salauds), la trahison (Mon traître). Ses années de reporter au Liban l’ont aussi confronté à l’horreur : Sabra et Chatila, les enfants morts, les corps violés. « Je puais la mort en rentrant », dit-il. Comme journaliste, il pouvait témoigner. Mais seul le roman lui permet de « redonner vie » comme dans Le Quatrième mur, à cette adolescente assassinée. « Le roman seul permet de dire “lève-toi, je vais t’appeler Iman, tu réciteras des poèmes de Mahmoud Darwich et tu vivras.” »

ANNE-MARIE THOMAZEAU

La rencontre, organisée par les Libraires du Sud, s’est déroulée le 28 août à la librairie Goulard, Aix-en-Provence.

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