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AccueilCinémaEephus, le dernier tour de piste réussi

Eephus, le dernier tour de piste réussi

Présenté à la Quinzaine des cinéastes 2024, le premier film de Carson Lund témoigne de la vitalité du cinéma indépendant américain

« Pourquoi ça leur tient tant à cœur ? Comme s’ils n’avaient rien de plus important dans la vie… », s’interroge une fillette spectatrice des efforts de baseballers non professionnels.

« Dans la vie, ils sont genre plombiers, lui répond le petit garçon qui l’accompagne.

Et de fait, c’est bien une middle class américaine qui est représentée dans Eephus, le premier film de Carson Lund, comme elle l’était dans Noël à Millers’point de Tyler Taormina [lire notre critique ici]. Les deux réalisateurs membres du collectif de cinéastes indépendants Omnes Films offrant, à rebours des standards hollywoodiens, des longs métrages choraux, nimbés de la nostalgie universelle du temps qui passe et des dernières fois.

L’eephus, pour les non-initiés souvent perplexes face à l’enthousiasme des fans de baseball, désigne une technique de lancer. Il s’agit d’impulser à la balle une trajectoire courbe dans une lenteur qui déconcertera le frappeur. L’eephus, en un vol, suspend le temps, et ouvre le champ cinématographique de Carl Lund.

Son film se déroule en un jour, en un lieu, en un acte accompli. Le théâtre, ce sera le terrain de Soldiers Field, dans une petite ville de la Nouvelle Angleterre, à la saison des feuilles mortes, juste avant l’hiver qui clôture les compétitions et les entrainements. Ce terrain « historique » qui a vu, génération après génération, s’affronter les équipes locales, n’accueillera plus jamais les amateurs de la batte, car on doit y construire une école. Pour leur dernier match, Les Adler’s Paint affrontent les Riverdogs. Les équipes sont composées de joueurs d’âges divers, ni spécialement athlétiques ni spécialement doués. Hommes jeunes inexpérimentés associés à de vieux briscards chenus, ventres rebondis, et souffle court : « le pire dans ce sport, c’est qu’il faut courir » lâche l’un d’eux.

Distorsion du temps

Franny (Cliff Blake) en dieu tutélaire du lieu, gardien de sa mémoire, tient la feuille de match. La caméra nous balade sur l’aire de jeu, sur le banc des équipes, dans les gradins, sur le parking, nous projette dans le ciel ou à la cime des arbres roussis par l’automne. Les haut-parleurs crachent des pubs. Le pizzaiolo mélancolique d’un food truck, prend les commandes. Un joueur est en retard. Un autre s’en va au milieu du match parce qu’il a oublié le baptême de sa nièce. Un nouveau arrive. Ça tourne à la comédie italienne, gaguesque. On change d’arbitre. On parle beaucoup, sur et hors de l’aire de jeu : voix off du documentariste Frederik Wiseman, apartés, commentaires, considérations sur la vie qui va, punchlines. Les dialogues se cisèlent. Le match s’éternise. Distorsion du temps. La nuit tombe sur la 9e manche. On joue dans le noir puis dans le faisceau des phares des voitures. Plans fixes, ralentis et mouvements chorégraphiques, jeu constant sur les arrières plans qui soulignent la simultanéité des actions et des échanges. Si certaines figures se détachent, il n’y a pas de personnages principaux et aucun n’est secondaire. Le réalisateur ne lâche jamais le groupe et ce terrain où chacun peut exister. Pas d’héroïsme, ni de virilité toxique ici. Juste des hommes devant leur finitude.

ÉLISE PADOVANI

Eephus, de Carson Lund

En salles le 1er janvier 2025

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