À la fin des concerts, on aime retrouver les musiciens qui nous ont touchés dans les disques, manière de revivre un peu la magie vivante de la représentation. On se plaisait ainsi à l’issue de soirées au festival de La Roque-d’Anthéron à reprendre le CD de Marie-Ange Nguci paru pourtant en 2017 chez Mirare (mais pour la musique, il n’y a pas de date de péremption), En Miroir. Ajoutons au plaisir musical la remarquable introduction signée par la jeune pianiste qui rédige une présentation du propos, des œuvres, des musiciens à la fois érudite, documentée, réfléchie, passionnante. Est ainsi expliqué le titre : s’inscrivant dans l’histoire de la composition, l’artiste souligne combien les auteurs comme César Franck, Camille Saint-Saëns et Thierry Escaich ont créé pour le piano alors qu’ils comptent « parmi les plus grands organistes et improvisateurs de leur temps ». « Attirés par la richesse et les potentialités presque infinies de l’orgue, jusqu’à y consacrer une partie substantielle de leur activité et officier quotidiennement en accompagnant les rites liturgiques », ils explorent les nouveaux modes musicaux, nourris des musiques du passé, dont la création pour piano se voit irriguée.
Ambitieux techniquement et musicalement
Miroir entre les époques, les instruments, les compositions de ces musiciens, ainsi contextualisées, prennent une nouvelle saveur. Notre écoute se modifie, on recherche les échos, les harmonies voisines. On se penche à propos d’une réécriture de Bach par Busoni sur la manière de compenser « la réverbération et la spatialisation du son de cathédrale par une réécriture, mais aussi par un usage intelligent des pédales, y compris la nouvelle pédale tonale » (dont, cocorico ! on doit la première manifestation au « facteur marseillais Boisselot en 1844 et [qui fut] réhabilitée en 1874 par Steinway »). Les intentions de chaque pièce sont développées, analysées par la pianiste et on se plaît à retrouver dans ses magistrales interprétations les nuances, les mouvements, les articulations.
Le programme du CD, ambitieux techniquement et musicalement, nous mène de Franck, Bach/Busoni, Escaich à Saint-Saëns. La précision du jeu, son intelligence, sa capacité à transmettre une émotion, à donner un sens, à raconter une histoire, accorde une couleur particulière à cet opus. Palette délicate, charpente puissante, une interprétation qui n’en rajoute pas mais sait transcrire avec passion époques et registres. En Miroir est un premier album magistral dans tous les sens du terme !
MARYVONNE COLOMBANI
En Miroir, de Marie-Ange Nguci, aux éditions Mirare, 20 €.