Il y a quelque chose qui relève de la gageure que de vouloir donner un portrait de l’auteur génialement prolifique qu’est Salman Rushdie. Guy Astic part de leur rencontre aux Écritures Croisées dont l’écrivain avait été l’invité d’honneur en 2008 grâce à la « fée littéraire d’Aix-en-Provence », Annie Terrier. Malgré la fatwa qui pesait déjà sur lui sous le prétexte que Les Versets Sataniques, paru en 1988 ridiculiseraient le Coran et Mahomet, il avait séduit l’auditoire par sa verve, son détachement, son sens de l’humour, sa finesse, son élégance, sa faculté à faire de tout un récit. « Il est resté, affirme Guy Astic, cette force qui va, vouée à l’art sans bornes du roman, foncièrement transgressif, qu’il ne cesse de régénérer ». Le critique, en une étude aussi passionnée que subtile, établit un ample réseau de références qui inscrivent Salman Rushdie dans la grande tradition de la littérature mondiale. On passe de « la lignée du poète ourdou pakistanais Faiz Ahmed Faiz (1911-1984) » à Pablo Neruda, Conrad, Tchekhov, Cervantès. Si « la littérature est un territoire de controverses », elle est aussi lieu de brassages. L’écrivain né dans l’Inde indépendante dans une ville bâtie par les Britanniques, elle-même « mélange d’Orient et d’Occident », a vu sa famille subir de plein fouet la partition entre les États du Pakistan et de l’Inde. Auteur post-colonial de fait, il mettra en pratique une écriture kaléidoscopique affirmant « qu’aucun ensemble d’idées n’est intouchable ». En neuf chapitres, l’œuvre est parcourue avec une gourmandise sans cesse renouvelée, de la « pollinisation croisée » à « l’imagination fractale », de « la langue sous la langue, ou l’anglais sens dessus dessous » au « roman protéen » puis « effervescent ». Les télescopages linguistiques, les collisions entre les langues et les histoires, nourrissent une « jubilation romanesque » dans laquelle on a hâte de se replonger.
MARYVONNE COLOMBANI
Salman Rushdie, La fièvre du roman, de Guy Astic
Éditions Rouge Profond – 20 €