Il faut du culot pour aborder frontalement le sujet de la Collaboration française au théâtre, encore plus pour en faire une comédie qui prend ses membres éminents comme protagonistes. Et il faut du génie pour créer un spectacle qui mobilise théâtre, vidéo, musique live, humour guignolesque et éléments documentaires, dans lequel les acteur·ice·s endossent chacun·e plusieurs personnages, et ne jamais perdre son public.
Ce culot et ce génie, ce sont ceux de Sylvain Creuzevault. Avec Edelweiss [France Fascisme] le metteur en scène propose une fresque satirique, féroce et efficace, qui dissèque les mécanismes idéologiques des milieux collaborationnistes, avec un humour tranchant, tout en mobilisant des références pointues relatives aux milieux collaborationnistes, sans se priver d’anachronismes évidents.
La pièce s’ouvre sur le procès pour « intelligence avec l’ennemi » de Robert Brasillach (Charlotte Issaly), rédacteur en chef du journal collaborationniste Je suis partout. Celui-ci, loin de s’excuser, encaisse sa condamnation à mort en entonnant une Strasbourgeoise véhémente. Le ton est donné.
Délires et nuances
La suite de la pièce consiste en un long flashback, parsemé de vidéos stroboscopiques et de scènes délirantes, qui débute le 22 novembre 1941, un an après l’armistice. Deux heures durant, on suit le parcours des journalistes de Je suis partout et d’hommes politiques tels que Marcel Déat, Jacques Doriot et Pierre Laval, tous trois plus ou moins notoirement venus de la gauche. On croise avec eux des travailleurs, des ambassadeurs, quelques opposants politiques ou encore Jeanne Rebatet, mère de l’auteur Lucien Rebatet. La relation de cette dernière, maurassienne germanophobe, avec son fils pro-nazi, illustre subtilement les divergences profondes de l’extrême droite de l’époque.
La mise en scène, pourtant tape-à-l’œil et imprévisible, n’aliène presque jamais le sens de la pièce, ni son objectif de mise en garde contre les dérives fascistes. De manière générale, la pièce nuance l’homogénéité idéologique de l’époque de façon à illustrer la citation de Bertold Brecht « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution en temps de crise », cité par Creuzevault lui-même comme référence.
CHLOÉ MACAIRE
Edelweiss [France Fascisme] a été joué du 13 au 15 novembre au Domaine d’O, Montpellier
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