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Fest’hiver : À la recherche du moi perdu

Linda Blanchet dévoile au théâtre des Halles l'ADN et les histoires de vie de ses comédiens. Délicatement dramatisées.

On sait depuis Freud, et sans doute depuis Montaigne, que faire le récit de soi révèle, au-delà de notre conscience, des secrets enfouis par nous-mêmes. L’autobiographie et les autofictions romanesques tournent autour de ces matériaux personnels depuis plusieurs siècles, mais le théâtre s’en est emparé depuis peu. Linda Blanchet, aidée ici à l’écriture par Faustine Noguès, en a fait la matière première de son art, avec énormément de délicatesse. 

Car entrer dans l’intimité des gens, qu’ils soient ou non acteurs, nécessite du tact, de la douceur. Pour y parvenir le public est séparé en quatre groupes et muni de casques. Les premières histoires sont comme susurrées à l’oreille par chacun des comédiens qui emmènent dans la salle. Assis sur le plateau, resserrés autour d’un espace scénique de la taille d’un salon particulier, les spectateurs s’installent dans une sorte d’effraction consentie, qui ressemble aux tests ADN dont il va être question. 

Ces tests « récréatifs », interdits en France pour des raisons d’éthique, se commandent sur internet : vous crachez dans un tube à essai que vous envoyez aux États-Unis, ou en Angleterre, pour qu’ils y comparent votre génotype à d’autres génotypes recueillis auparavant par le même moyen. 

Effraction consentie

Les Histoires de familles auxquelles on assiste tournent donc autour des révélations que son test ADN provoque, pour chacun, dans son propre récit autobiographique. L’une, Italo-Indonésienne, conforte son attachement à un pays qu’elle ne connaît pas ; l’autre, que le test révèle Allemand plutôt qu’Anglais comme sa mère, se met à douter de sa filiation ; et la troisième, qui se croyait issue d’une famille de paysans de l’Allier profondément sédentaires, se découvre une demi-sœur et des origines espagnoles… 

Une partie du spectacle tourne autour de l’enquête, quasi policière, sur ses origines. Les spectateurs, qui sont confrontés au choix de poursuivre ou abandonner l’enquête, reprennent leurs casques, et suivent cette enquête à choix multiples plongés, à nouveau, dans les voix murmurées. Puis le dénouement survient… 

Mais le quatrième comédien, d’origine congolaise, a refusé de faire le test. Parce qu’il sait que les classifications ethniques sont artificielles et peuvent conduire au génocide, ou à l’eugénisme. Il sait aussi qu’aucun des habitants de sa région congolaise n’a les moyens de passer le test, et qu’il n’a aucune chance de se découvrir des cousins, qu’il n’a d’ailleurs pas envie de connaître. 

Chercher, cacher, ou dire. Les origines espagnoles de l’une reposent sur un joli secret, la germanité de l’autre sur une erreur. Quand à Linda Blanchet, descendante de la Shoah, elle porte en elle l’histoire d’une diaspora, et un désir de savoir qui traverse tous les exilés. Bien souvent en vain : elle n’a pas fait le test.

AGNÈS FRESCHEL

ADN/ Histoires de familles a été vu par Zébuline en mai 2023 au Théâtre Joliette, Marseille. et sera joué le 1er février, au Théâtre des Halles, Avignon

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