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FESTIVAL DE MARSEILLE : Marie Didier : « Ce qui n’est pas représenté est invisibilisé »

À la tête du Festival de Marseille depuis 2021, Marie Didier affirme une ligne artistique engagée, inclusive et tournée vers le territoire. Entretien

Zébuline. Qu’est-ce qui fait, selon vous, la spécificité et le succès de ce festival ?

Marie Didier. C’est un mélange de choses. Je pense que la place accordée à la danse, au mouvement, à la diversité des corps et des identités joue un rôle fort. Ce sont des thématiques très présentes à Marseille, mais le festival en a fait sa ligne principale. J’essaie aussi de proposer des formes originales, parfois atypiques, tout en gardant des événements fédérateurs. Ce qui plaît, je ne le sais pas précisément, il faudrait le demander au public, mais je pense que c’est cette diversité, avec un fil rouge : la danse comme langage universel, et comme espace d’esthétiques variées.

Y a-t-il aussi un travail autour de la parole, du texte ?

C’est peut-être ce qui nous caractérise le moins… mais la journée du 29 juin sera intéressante à ce titre. On y retrouvera plusieurs artistes issus du champ de la littérature, surtout expérimentale, mais toujours en lien avec la performance. Par exemple, Léa Rivière, ou Lucie Camous, qui explorent des formats cinématographiques ou poétiques expérimentaux. Je pense également à No Anger, une artiste en situation de handicap qui travaille autour des frontières — entre les corps, valides et non-valides. Là, on est dans un dialogue entre danse, performance et autres disciplines, mais c’est concentré sur cette journée.

C’est une édition anniversaire, la trentième. Est-ce que vous avez prévu quelque chose pour marquer le coup ?

Notre manière de célébrer, c’est de rester fidèle à notre cap. Cette année, on accorde une place importante aux projets participatifs, de co-création, qui impliquent des amateurs et amatrices. On en a cinq très forts cette année. Ce sont des projets pensés par des artistes, mais qui n’existeraient pas sans les participant·es. On a voulu appuyer là-dessus. Cela produit des formes artistiques, mais aussi du lien, de la pratique. 

Par exemple, le festival s’ouvrira le 12 juin avec Manifête, un projet mené par la chorégraphe Marina Gomes, où 450 enfants danseront dans l’espace public pour parler de leur liberté d’expression. C’est un projet d’envergure, ancré dans le territoire, et qui dit politiquement des choses sur la place qu’on veut laisser à la jeunesse – ou plutôt la place qu’on les laisse prendre. 

Il y a aussi deux grandes soirées au Théâtre de la Sucrière en fin de festival : Les Oiseaux rares, projet d’Anne Festraets, qui invite dans chaque ville des jeunes exilés à s’intégrer au spectacle, en valorisant leurs talents. Et puis Blossom, de Sandrine Lescourant, chorégraphe installée à Marseille, qui travaille sur la notion de lien, qui constitue chez nous un réel leitmotiv. Elle rassemble une vingtaine de personnes très différentes – âges, pratiques, origines – autour de chanteurs et musiciens professionnels, pour créer une œuvre typiquement marseillaise.

Vous évoquiez également un autre axe fort autour de la diversité des corps…
Oui, c’est un autre grand axe de cette édition anniversaire. Depuis plusieurs années, nous défendons la place des corps différents, en particulier des personnes en situation de handicap. La danse a souvent été pionnière en la matière. Cette année, cela traverse toute la programmation. Ce n’est pas concentré sur un événement, mais présent comme une coulée continue. On a par exemple le film Crip Camp : la révolution des éclopés, qui retrace le militantisme des personnes handicapées aux États-Unis, diffusé le 7 juin. Une conférence de Mathilde François et une rencontreautour d’Élisabeth Lebovici,une figure de l’histoire de l’art, prolongera ce moment le 29 juin. 

On présente aussi le 19 juin une création de la compagnie inclusive britannique Candoco, qui a été pionnière dans ces enjeux, ainsi que Starting with the limbs, une création inclusive d’Annie Hanauer. Nous savons combien ce qui n’est jamais représenté, dans le monde de l’art, mais aussi dans la sphère politique ou publique, est, de fait invisibilisé ; et cela peut recouvrir des réalités et des vies nombreuses. L’art peut aussi combler ce manque-là.

Vous disiez enfin vouloir marquer l’édition par de grandes formes ?
Oui, je tenais à proposer des pièces d’envergure : beaucoup d’interprètes au plateau, des scénographies ambitieuses, innovantes. Ce sont des productions de haut niveau, et il y en a plusieurs cette année. Je pense à Peeping Tom et sa scénographie hors normes, à Weathering de la compagnie Faye Driscoll – une pièce immersive avec un public tout autour – ou encore à la création de Christos Papadopoulos, avec plus de 10 interprètes. C’est important de porter cette ambition-là, pour que le festival reste un lieu de grande création. De même que son ouverture à l’international : les dramaturgies d’ailleurs, celle du pourtour méditerranéen qui est notamment très présent – la Grèce, la Catalogne, l’Egypte, le Liban et la Palestine – ont beaucoup d’inspiration à nous apporter. Le festival dit quelque chose d’un rapport au monde qui ne relève pas de la naïveté : il faut être conscient que l’on accueille un grand nombre d’artistes venus de zones de conflits. Créer des espaces où l’on invente, dans la joie, et dans des formes de vivre ensemble, du décloisonnement pour dépasser les clivages : cela nous semble essentiel.

Le festival suscite, de fait, beaucoup de curiosité et d’enthousiasme.
C’est indéniable ! Et cela se voit dans la dynamique de réservation, au moins aussi forte que l’année dernière. En 2024, on avait terminé avec 96 % de remplissage, 80 % des spectacles complets. On est sur la même lancée ! Cela montre qu’il y a une adéquation entre ce qu’on propose et un désir du public, des Marseillais. Peut-être un désir de danse, de performance, un attachement à ce festival qui commence à s’installer.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SUZANNE CANESSA

Festival de Marseille
Jusqu’au 6 juillet
Divers lieux, Marseille
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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