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Festival Propagations : les espaces sont sonores

Le festival Propagations invite à peupler les espaces de sons et de mots. Retours sur des créations bicéphales, en attendant d’autres explorations sonores !

Un dispositif impressionnant occupe pour un mois l’intérieur du Module du GMEM à la Friche. Un dôme ambisonique conçu par l’Ircam (Paris) accueille 35 spectateurs sous 49 haut-parleurs et des projecteurs pour douze Musiques-Fictions, lectures immersives conçues par auteur·ices, compositeur·ices et metteur·euses en scène. 

Elles proposent des voyages différents, qui instaurent un rapport peu commun entre les récits et les musiques, les fondant dans un même espace sonore, renouvelant le genre de la fiction radiophonique en la spatialisant. Ce qui l’éloigne de l’idée d’un voyage immobile, même si le corps reste au repos.

Ces lectures qui invitent d’ailleurs assez irrésistiblement au sommeil, comme si mettre son corps au repos mais lui faire produire des images mentales, ouvrait la porte des rêves. Lors de Naissance d’un pont, composé de longs passages du roman de Maylis de Kérangal, rares furent les auditeurs à ne pas chavirer, au cours des presque deux heures de la lecture immersive, dans des poches de sommeil plus ou moins prolongées. La musique de Daniele Ghisi répondait à la structure même du roman : de grandes arches, come des pylônes structurels plantés sur les rives, des élans électroniques qui se répondent, enflent et s’éteignent, puis renaissent et se rejoignent. 

Dans cette structure générale des sons précis, instruments, déformations concrètes, interviennent comme autant d’anecdotes particulières, attirant l’oreille vers telle source du son, source du récit.

Le roman de Maylis de Kérangal, qui raconte la construction d’un gigantesque pont au dessus d’une zone sauvage, dans une Californie de fiction est racontée par de grands acteurs (Laurent Poitrenaux, Nicolas Bouchaud, François Chattot, Julie Moulier, Marie-Sophie Ferdane…) qui incarnent les personnages du roman plutôt que de s’en tenir à la voix du conteur. 

Cette première Musique-Fiction de la collection de l’Ircam, créée en 2020, inaugurait un cycle qui a sans doute mieux trouvé son rythme en s’éloignant aussi de l’incarnation, pour garder l’idée d’une lecture monodique, ou d’un dialogue, qui tresse sa complexité avec la musique. 

Sous la tente

En 2005, l’auteur Erri De Luca se joint à l’alpiniste Nives Meroi, première femme à avoir gravi les dix plus hauts sommets du monde, dans l’ascension du Dhaulagiri, un mont de l’Himalaya culminant à 8167 mètres. De cette aventure commune il fait un roman, Pour adapter Sur la trace de Nives, Laëtitia Pitz a choisi une discussion nocturne sous une tente en haute montagne entre les deux protagonistes. Un univers très intime mais aussi ouvert, qui correspond parfaitement au dispositif. Sous le dôme ambisonique le public est comme avec Erri et Nives. 

Festival Propagations, Espèce d’espaces © Lionel Escama

Les voix des deux comédien·ne·s qui les interprètent jaillissent de côtés opposés de l’installation, comme si deux présences invisibles étaient assises l’une en face de l’autre. Entre eux plane la musique composée par le clarinettiste Xavier Charles. L’absence d’incarnation physique et l’obscurité percée par de doux jeux de lumières créent une atmosphère presque mystique, cohérente avec la teneur de leur discussion.  

Discussion qui est en fait plus souvent une juxtaposition de monologues qu’un échange. Elle décrit ses ascensions, leur coût physique, son amour des sommets et sa relation avec son mari et binôme en montagne Romano. Riche d’années d’expérience, elle est assez pragmatique, mais une forme de lyrisme sous-tend souvent son propos, ce qui est appuyé par la douceur de la voix d’Océane Caïrati. Lui, plus spirituel, disserte longuement sur la place des montagnes dans différentes religions, de l’Olympe au discours de Béatitudes, dressant des comparaisons dont s’amuse Nives. 

Mais si cette création de 2025 de 50 minutes est moins dilatée et théâtrale que celle de 2020, la musique complique la compréhension du texte, dense et complexe, et couvre parfois les mots de ses stridences. Elle confère au texte une dimension sombre qui n’est pas toujours à propos, le dialogue étant réflexif, mais joyeux.

Pérec est space

Espèces d’espaces de Philippe Hurel se fonde sur l’essai éponyme de Georges Perec, qui est plus qu’un livret. Le texte, suite de notes sur les lieux quotidiens du plus lyrique des oulipiens, donne son architecture au spectacle. Recréé à La Criée pour Propagations avant une tournée française, ce premier « opéra » (2011) du compositeur joue des codes du genre comme Perec se joue des genres littéraires : l’ensemble Court-Circuit dirigé par Jean Deroyer, s’implique avec un plaisir visible dans une partition chaleureuse, riche de polyphonies, mais explorant aussi l’espace du son dans sa dimension spectrale, et citant, ça et là, une comptine, un jingle télévisé, un accordéon populaire… 

Le texte est porté par la chanteuse Elise Chauvin (chant et voix parlée) et par le comédien Jean Chaize. Ils sont judicieusement amplifiés, conservant ainsi un phrasé naturel, qui leur permet  d’occuper et modifier l’espace scénique.  

La mise en scène d’Alexis Forestier joue tout aussi joliment du caractère inclassable du texte, fait d’énumérations, d’une progression clinique du plus petit au plus vaste espace, d’un quiz sur les pièces habitables d’une maison, de drôleries constantes, de tables et de corps qui s’empilent, de vêtements et de rôles datés, la soprano jouant les femmes d’intérieur avec juste ce qu’il faut de distance. Car « vivre, c’est passer d’un espace à l’autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner ». Méthodique et paradoxal comme tous les textes de Perec, le spectacle se conclut par une note de la Waffen-SS : une commande d’arbres et de plantes pour construire une haie séparative entre les deux chambres à gaz d’Auschwitz. Avec Perec, la déconstruction du verbe n’est jamais très loin de la Shoah.

Chloé Macaire et Agnès Freschel

Propagations se poursuit jusqu’au 11 mai à Marseille.

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