Comment vous est venue l’idée de votre premier long métrage dédié à Romain ?
C’est venu d’un deuil, en fait de la perte d’un jeune homme de ma famille qui a eu un cancer très agressif, qui donnait peu d’espoir de chance en 2020. J’ai commencé à écrire pour retrouver de la joie, essayer de voir si je pouvais me réconcilier avec la maladie. C’était tellement injuste et dur ! Je me suis dit que j’aimerais faire un film sur la maladie, mais le plus lumineux possible.
Aviez-vous en tête le film d’Agnès Varda, Cleo de 5 à 7, l’errance de 90 minutes dans Paris d’une jeune femme qui attendait un diagnostic ?
Je ne l’ai pas eu en tête comme référence. Je ne me suis pas dit que j’allais faire un Cleo de 5 à 7 au masculin et contemporain. Quand j’ai regardé Cléo pour la 1e fois, j’ai eu l’impression de découvrir un personnage, de suivre cette femme, de m’accrocher très fort à elle. Pour moi, en écrivant, c’est ce qui s’est passé. Il y a une figure de jeune homme qui est arrivée dans ma tête, avec des contours un peu flous, des vêtements un peu larges. Il a dû avoir un diagnostic et je vais le suivre.. Je l’ai suivi à l’écriture et l’errance est venue de là. La forme est arrivée de mon errance à l’écriture.
Au générique, on voit écrit « avec la collaboration de Maud Ameline » Comment s’est passée cette collaboration ?
J’ai écrit plusieurs versions de scenario dialogué. On est arrivé au bout avec ma productrice et on s’est dit qu’il fallait un regard extérieur. On a fait une dizaine de séances de travail, de réflexion, de discussions avec Maud Ameline. Elle a beaucoup apporté à l’architecture de la structure du film. Elle a verrouillé l’errance en créant des rythmes. Très fondateur pour le film.
Le personnage de Nino est très intérieur, discret, secret « Tu voyais tout et tu ne regardais rien lui dit sa mère. » évoquant sa naissance. Comment l’avez-vous construit ?
Je l’ai cherché autant que le spectateur, peut –être. Pour moi, c’était un jeune homme assez mystérieux sur qui tombe ce diagnostic et je l’ai découvert au fur et à mesure de l’écriture. Je je ne savais pas si Nino avait été traumatisé ou pas par la mort de son père. J’ai gardé son mystère ; je l’ai mis en contact avec d’autre gens. Je mets des gens ensemble, je les écoute discuter et j’écris. Les paroles viennent comme cela et ça crée une personnalité. Je suis mon personnage et je vois comment ça ses passe.
Pour l’incarner Théodore Pellerin ? Vous l’aviez vu dans le film de Xavier Dolan, Juste la fin du monde (2016) ? Ou ailleurs ?
Je ne l’avais pas repéré du tout. Je ne savais même pas qu’il existait (rires) ! C’est ma directrice de casting qui m’a proposé une liste de comédiens dans la trentaine. Je n’avais pas d’évidence. Elle est arrivée avec Theodore, avec l’intuition que ça allait bien a marcher entre nous.. .Dans la vie ,il a un accent québécois et dans le film pas du tout. Ca a été un vrai coup de cœur. Je lui ai donné les clés du Personnage. Quand il est arrivé, il m’a dit « j’ai vraiment adoré le scenario. » J’avais le sentiment qu’il avait compris Nino mieux que moi qui suis une femme de quarante ans avec des enfants. Il y a des choses qui m’échappaient sur le fait d’être un jeune homme de trente ans, confronté à la maladie aux questions de parentalité.. Il comprenait tellement bien le rôle ! C’est un grand acteur.
Un excellent choix ! Il incarne à merveille votre personnage, à fleur de peau, et vient d’obtenir Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation à la Semaine de la Critique. Et les autres ? Mathieu Amalric pour cet inconnu que croise Nino ? Jeanne Balibar, cette mère assez étonnante
Jeanne Balibar était une grande évidence. Elle incarnait vraiment cette mère agaçante comme toutes les mères avec un jeune homme de 26 ans, à côté de la plaque quoi qu’elle dise. Elle a su faire passer, dans les deux scènes du film dont celle où elle arrive à se rapprocher de Nino, la relation mère /fils. Et pour Mathieu, je n’arrêtais pas de dire « pour la scène des bains douches, il me faudrait un Mathieu Amalric. » Ma directrice de la photo, Lucie Baudinaud, qui avait travaillé avec lui dans Barbara, le lui a demandé. Il a lu les deux scènes du scenario qui le concernaient, pas le scenario entier.« Je ne eux pas savoir ce qui arrive à Nino, a-t-il dit, parce que si je joue ça, je suis un personnage qui n’est pas censé le savoir. » Il a été extraordinaire sur le tournage, un enfant qui aime jouer, avec son sac rempli d’accessoire. Le plaisir du jeu. J’ai eu beaucoup de chance !
On a l’impression que tous vos personnages, même secondaires, sont traités avec un grand soin et même avec amour. Vous les aimez vos personnages ?
Énormément ! La clé pour moi, est d’aimer ses personnages avec leurs défauts aussi. Et quand j’ai trouvé les acteurs et que je les aime autant que les personnages, j’ai l’impression que le film est quasiment prêt.
Vous connaissez de longue date votre directrice de la photo Lucie Baudinaud. Comment avez-vous travaillé avec elle en particulier pour filmer Nino que la caméra ne lâche jamais.
La première chose que j’ai dite à Lucie, quand j’ai rencontré Théodore, c’est qu’il fallait que les gens le voient come je le vois, tellement sensible, vulnérable, avec son corps de jeune homme en pleine santé. Il va falloir que tu sois aussi fasciné que moi, pas une fascination amoureuse ou érotique. Elle a été très discrète dans sa manière de filmer alors qu’on est souvent en longue focale, près sans être près, se mettre à la bonne distance par rapport à ce qu’il ressent : seul parmi les autres Comment filmer le sentiment de solitude, parfois en étant très près, parfois en étant très loin. Il est de toutes les séquences. Comme l’a dit Théodore, « les personnages secondaires sont les stars du film parce qu’ils viennent l’emporter chacun dans une énergie différente. »
On voit Nino déambuler dans Paris, dans un Paris filmé en bleu, Où avez-vous tourné?
Oui, c’est vrai. Mais ça s’est dessiné un peu ainsi ; dans ces quartiers du nord –est de Paris , on a souvent cette impression bleutée. On a travaillé cela avec la lumière et l’étalonnage quand on s’en est rendu compte.
Avez-vous partagé avec Lucie des pistes visuelles, photos, tableaux, films ?
Oui ! un film Blue Valentine avec Ryan Gosling et Michelle Williams, un film indépendant américain, où j’aimais beaucoup les valeurs de plans. Et aussi l cinéma de Joachim Trier, en particulier, Oslo, 31 Aout et Cléo.
Est-ce que la sélection à La Semaine de la Critique vous ouvre des portes pour la suite ? Et avez –vous un nouveau film en préparation?
La Semaine de la Critique est l’endroit dont je rêvais en tant que jeune femme réalisatrice. Un endroit qui a porté plein de réalisatrices, Justine Tiet, Hafsia Herzi, Julia Ducournau, elle sont toutes passées par là. Un lieu bienveillant qui sonne énergie et confiance. Faire un film demande beaucoup d’énergie, beaucoup de persévérance. On se pose beaucoup de questions. Pourquoi faire un film alors que le monde va si mal. Pourquoi un film de plus ? Oui cela ouvre des portes mais pour ce film – là,, c’était l’histoire qui comptait le plus. Il me faut trouver une histoire qui m’importe autant pour faire un deuxième film. Sinon ça ne vaut pas le coup ! Car cela demande beaucoup de travail et si on n’a pas quelque chose de très fort à raconter,on peut faire autre chose. Donc on verra….
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNIE GAVA (JUIN 2025)
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