C’est à Deni Oumar Pitsaev, un cinéaste tchéchène exilé au Kazakhstan puis en Russie avant de se réfugier à 17 ans en France, que Julie Gayet, présidente du Jury, a remis l’Œil d’or 2025, un prix décerné à un documentaire choisi parmi les différentes sections du Festival de Cannes.
Imago est une auto-fiction qui confronte la réalité objectivée par la caméra à une perception plus intime, un voyage dans l’espace et le temps où le réalisateur-acteur passe d’une étape « larvaire » à un stade plus abouti peut-être. Le mot « Imago » renvoie à la fois à la psychologie : la représentation mentale inconsciente d’une personne proche qui structure l’enfant dans son rapport futur aux autres. Et à la biologie : le stade final d’un individu dont le développement passe par différentes phases.
Convoquant toute sa famille qui entre avec une confiance touchante dans le jeu subtil du cinéaste, Deni Oumar Pitsaev à travers de longs échanges aborde des sujets comme la filiation, le sens de la vie, la transmission, la liberté face à la responsabilité de l’individu dans le groupe. A ces thèmes universels s’ajoutent ceux de l’exil d’un peuple malmené par le « grand frère russe », frappé par les guerres, non comme un arrière-plan historique mais comme le substrat du roman familial.
Le film commence à Bruxelles par un coup de téléphone. Déni est attendu en Géorgie par ses oncles, tantes, cousins dans la vallée de Pankissi, frontalière de la Tchétchénie. Là, depuis deux siècles les Tchétchènes ont trouvé refuge. Sa mère, qui veut que ce fils « artiste » et quadragénaire, se marie, fonde un foyer, s’enracine au sens propre du mot dans sa communauté, lui a acheté un beau terrain face aux montagnes. Il doit y bâtir sa maison.
Pour Deni, ce sera une cabane perchée dont il a fait les plans. « La maison de Baba Yaga » se moquera sa tante en les découvrant, et « qui plaira aux touristes », ajoute-t-elle. Une maison qui dit implicitement son refus de s’ancrer dans cette terre.
Les retrouvailles avec sa famille, permettent au cinéaste de faire entendre les valeurs, les rêves, les espoirs, les regrets de ces gens. Un cousin enrichi vante la Géorgie et le bio et se construit un vrai palais pour accueillir une foule d’enfants. Les femmes rappellent le système patriarcal, les interdits religieux et le poids des traditions. L’idée fixe de la mère pour marier Déni tourne au comique. Mais c’est l’arrivée du père qui fait basculer le film dans la palpable et bouleversante douleur du cinéaste. Un père si peu connu, resté au pays quand sa femme l’a quitté emmenant Déni avec elle. Qui a refait sa vie, a donné à Déni deux demi-frères. Fils et père se retrouvent seuls dans la forêt et c’est sans doute la plus belle séquence du film. Déni lui demande des comptes. Le père lui raconte sa version de sa séparation, les raisons de son absence. Il voit bien que son fils, s’il parle encore la langue, « ne pense plus tchétchène » et qu’ils ne peuvent pas vraiment se comprendre. Moment tout en pudeur et retenue où se perçoivent les blessures de chacun.
ELISE PADOVANI
Rencontre donnée le 10 juin à La Baleine, Marseille.
Sortie nationale le 22 octobre.