Ballaké Sissoko joue de la kora depuis quarante ans (il a intégré en 1981, à l’âge de 13 ans, l’Ensemble Instrumental du Mali à la suite de son célèbre père Djelimady Sissoko), vit entre la France et le Mali, et aime les collaborations artistiques. En 2021, sur son album Djourou, il proposait toute une série de duos avec Salif Keita, Arthur Teboul (de Feu! Chatterton), Camille, Oxmo Puccino, Vincent Segal… En marge des sessions d’enregistrement de ces duos, il gravait en solo, dans l’intimité de la chapelle Sainte-Apolline, en Belgique, une suite de huit pièces instrumentales. Regroupées sur l’album A Touma, qui veut dire en bambara « c’est le moment », ce sont ces compositions qu’il est venu jouer à Marseille.
Phrases musicales baladeuses
C’est évidemment plus un concert « musique du monde » que « jazz », mais peu importe : l’abbaye est pleine comme un œuf pour écouter la kora de Sissoko dans cette architecture romane, dont la réverbération met en valeur la sonorité de l’instrument (amplifié). Il s’assoit et commence à égrener ses notes, à l’écoute de ce qu’il joue, chantonnant discrètement de temps en temps. Une musique douce, lumineuse, arpégée, aux légers glissements rythmiques constellés d’accélérations subites et brèves, très peu d’accords ou de boucles mélodiques. Des narrations abstraites, faites de longues phrases musicales baladeuses, semblant par moment improvisées. Entre ses différents morceaux, le musicien prendra la parole pour indiquer son souci de la transmission de la culture mandingue aux plus jeunes. Pour signaler un hommage au village où son père est né, ou aux mamans, et en particulier à la sienne, qui s’occupait du choix de la taille de la calebasse, des peaux et des bois pour les koras que son mari se fabriquait lui-même, instruments qu’il « fait tout pour conserver » aujourd’hui. Le concert se finira par une surprise : un de ses copains d’enfance à Bamako est là, lui aussi joueur de kora et chanteur, qui vit entre Marseille et les États-Unis : Prince Diabaté. Il viendra s’assoir à côté de Sissoko pour deux morceaux aux tempos rapides avec couplets et refrains. Le public en redemandera. Et Ballaké Sissoko reviendra, pour préciser qu’au Mali, le concert se prolongerait sûrement jusqu’à l’aube, mais qu’en occident, « on n’a pas le droit, il y a le timing ».
Marc Voiry
Marseille Jazz des cinq continents se poursuit jusqu’au 27 juillet.