mardi 15 octobre 2024
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessous
AccueilCinéma"Je suis un chrétien qui a viré communiste", entretien avec Alain Guiraudie

« Je suis un chrétien qui a viré communiste », entretien avec Alain Guiraudie

Le 8 octobre 2024, Alain Guiraudie est venu présenter en avant-première aux Variétés à Marseille, devant une salle comble, son dernier film Miséricorde. Entretien

Zébuline. Alain Guiraudie, si je vous dis : votre film c’est Racine, le Pasolini de Théorème, du Chabrol, de l’Hitchcock, le Kazan du Tramway et du vaudeville : que retenez-vous ? Que rejetez-vous ?

Alain Guiraudie. Alors, oui. La tragédie. Je retiens. J’aurais préféré Euripide à Racine. Mais bon, il y a de la tragédie, c’est sûr ! Pour Théorème, je rejette. D’une part, ce n’est pas un film que j’aime beaucoup. Et puis, c’est un truc sur la bourgeoisie face à ses désirs, qui se retrouve complètement chamboulée. Tout le monde couche avec tout le monde alors que dans mon film personne ne couche avec personne. Enfin, je suis d’accord sur le fait qu’il y a du désir qui circule mais il ne s’accomplit pas dans l’acte sexuel. Hitchcock, ça fait toujours plaisir à entendre. Je ne sais pas précisément pour ce film mais je suis imprégné d’Hitchcock. Je le regardais gamin à la télé le dimanche soir. Il y a un côté comédie un peu macabre comme dans Qui a tué Harry. Et Chabrol aussi oui, mais sans le regard surplombant.

Pour le Tramway, je pense plus à Tennessee William qu’à Kazan que je déteste, sa sensualité de magazine avec l’érotisation de Brando et son tee-shirt mouillé ; mon personnage est un très lointain cousin de Brando ! Mais de toutes façons à partir du moment où les gens voient quelque chose dans mes films, je ne peux pas dire que ça n’y est pas. Je suis nourri par toutes ces influences et même par des gens dont je n’aime pas le cinéma. Mais je fais dérailler tout ça !

Et le vaudeville ?

Oui pour le vaudeville : c’est un truc que j’assume pleinement, j’aime jouer de ce genre. Ici, le curé en érection, le personnage tiers caché qui écoute sans se faire voir… Viens je t’emmène, mon film précédent, jouait encore plus sur le vaudevillesque.

Miséricorde est un titre chrétien et l’abbé Grisolles est un personnage central, le seul qui tienne un discours construit tandis que les autres ont des échanges plus prosaïques. Il prône un drôle de catéchisme : est-il un peu votre porte-parole ?

Je mets beaucoup de moi-même dans tous mes personnages mais oui l’abbé exprime ma façon d’interroger la morale ambiante et ce que j’aurais aimé qu’on me dise. Je suis de culture chrétienne et je suis un grand déçu de christianisme. Je suis un chrétien qui a viré communiste. Je fais une relation entre l’amour du prochain et l’amour du genre humain J’aime l’idée d’un curé qui pousse l’idée du pardon de l’empathie avec l’autre jusqu’au bout. Après ce n’est peut-être pas la miséricorde pure, le curé il est comme moi : il essaie de conjuguer ses grands préceptes moraux avec ses désirs intimes et avec le fait qu’il est un homme.

 Il va jusqu’à dire que le criminel ne doit pas être puni !

Oui, je m’interroge beaucoup là-dessus. Si on sort les serials killer de cette histoire, est-ce que ça a encore un sens ce truc de payer sa dette à la société ? On peut payer aux proches de la victime mais à la société ? Est-ce que ça sert à quelque chose de mettre les gens dont on sait qu’ils ne récidiveront pas en prison pour des années ? Ce qui est pire pour moi que la mort. Quand j’étais ado, j’avais été frappé par l’attitude du chanteur Julos Beaucarne après la mort de sa femme qui avait été poignardée. Il n’avait pas porté plainte contre le meurtrier. Il a écrit une lettre d’amour. Je n’avais pas compris sur le coup mais ça a été fondateur de ma morale. Après, qu’il y ait une justice, bien sûr ! Mais l’idée de culpabilisation dans un monde où les pires horreurs sont acceptées, ça m’interroge. 

Votre assassin n’a pas spécialement de remords ?

Non, il ne se trimballe pas avec une culpabilité même si on ne sait pas au fond si c’est un serial killer. J’ai laissé le spectateur libre d’imaginer le passé des personnages. On sait qu’il désirait son ancien patron boulanger – quand il était vivant [rires]. Je n’ai pas choisi d’en faire un boulanger par hasard. Il y a du symbole sans doute. On sait qu’il y a eu des histoires d’ado avec ses anciens camarades, des jalousies mais je n’ai montré que la situation présente.

Le curé dit qu’il faut aimer les hommes même si c’est difficile au début. Aimez-vous vos personnages ?

Ah oui ! C’est marrant, j’ai du mal à dire que j’aime les acteurs mais je les aime quand ils incarnent mes personnages. Pourtant, je peux aimer des cinémas où le réalisateur manifestement n’aime pas les siens. Le fait que je mette beaucoup de moi-même en eux m’aide à les aimer sans doute !

Il n’a pas de méchant dans vos films ?

Non, et si j’en inventais un, je me démerderais de l’aimer !

Vous mettez en scène le peuple, la ruralité avec ses questions économiques et sociales, la désertification des campagnes et pourtant cela reste un conte. Comment articulez-vous ces deux aspects ?

Le comment, je ne sais pas. On le voit dans le film : c’est des fantasmes très personnels et un mélange de genres cinématographiques. Mais je sais le pourquoi. C’est le désir d’universalité. C’est pour ça que j’aime tourner à la campagne. Juxtaposer le curé en soutane et la Dacia Sandero qui est une voiture de 2020, ça permet de s’extirper du temps en conservant le prosaïsme. Faire de l’aujourd’hui et de l’éternel et rendre mon histoire intime universelle, ça a toujours été mon souci.

Les lieux dans vos films sont très importants, ici c’est la forêt en automne.

Oui la forêt, ça fait aussi partie du conte. J’ai très vite pensé à ce village que je connais et que j’aime bien. Il est aux confins de l’Aveyron et du Gard. Mais pour la forêt, j’ai eu du mal ! Je voulais un lieu reconnaissable par le spectateur et un endroit plat pour mettre en scène la bagarre entre les protagonistes Jérémie et Vincent. J’ai trouvé celle-là, très XIXe siècle, avec ce grand hêtre comme point de repère et cet espace sous les arbres comme une arène. Je l’ai choisie au-delà de son côté symbolique pour des raisons pratiques et esthétiques. C’est l’automne, il me fallait des arbres à feuilles caduques, un tapis rouge, de l’humus, des champignons.

Votre cheffe opératrice est, comme pour L’inconnu du lac, Claire Mathon : qu’est-ce que vous lui avez demandé ?

Je ne sais pas s’il faut envisager les choses en ces termes. On a travaillé ensemble, collaboré. Il s’agissait de poursuivre le travail entamé avec l’Inconnu du lac : approcher les ténèbres.  Faire un mélange de nuits de pleine lune, de nuits américaines, de crépuscules, sans trop d’artificialité. Je trouve qu’il y a une vraie sensualité dans l’image de Claire, dans sa façon de cadrer les gens. Je n’ai jamais demandé aux comédiens de jouer le désir : je n’oserais jamais demander ça ! Mais la caméra, oui, est désirante. Elle cadre des visages des gens comme si elle les désirait et les redoutait. Claire m’a fait remarquer que c’est mon premier film où il y a autant de gros plans.

Et Catherine Frot, comment est-elle arrivée dans le casting ?

Ça ne pouvait être qu’elle ! J’y ai pensé très tôt. J’avais un peu peur qu’elle ne veuille pas se joindre à des comédiens moins connus et aussi de sa grande popularité. Il ne faut pas que le personnage soit bouffé par le comédien. Mais elle a vite compris qu’il fallait jouer dans la simplicité. Et elle s’est glissée parfaitement dans le rôle de Martine.

Le scénario de Miséricorde est tiré de votre fiction-fleuve Rabalaïre, pourquoi porter à l’écran ce que vous écrivez ?

C’est un point de départ. Pas vraiment une adaptation. Je prends le personnage, la situation mais je change tout. Je repars à zéro pour le scénario. Dans le roman, je digresse, je suis dans le flux des consciences, je n’ellipse rien. Dans un film on va tout droit. Enfin, il est bien tordu mon film, mais quand même dans le cinéma, on est tenu à une certaine efficacité. Pour moi il faut faire tenir l’histoire dans 1h30/1h45. Je ne sais pas faire des films longs. J’ai essayé la série, ce n’est pas non plus pour moi. Au cinéma, j’aime l’ellipse et la confrontation avec le réel : les personnages s’incarnent. Il y a les comédiens, les costumes, les décors. C’est différent, même du scénario.

Après, il y a l’écriture du montage. Je suis très présent au montage et les rushes c’est souvent déprimant ! Quand on tourne, on n’a que des morceaux. On n’est pas sûr que ça fasse un film. Ici, le monteur avec lequel je travaille depuis plus de 10 ans avait commencé le montage pendant le tournage – pour des raisons de délais de présentation à Cannes – et c’était drôlement bien !

Un critique a pu dire de vous que vous étiez une Shéhérazade d’aujourd’hui. Comme elle, vos récits diffèrent-ils la mort annoncée ?

Ah ouais c’est bien vu ! Je n’y ai jamais pensé. C’est marrant parce que je poursuis mon récit « pour des siècles et des siècles » et j’ai l’impression d’être dans un roman qui ne s’arrêtera qu’avec ma mort. Eh oui, c’est vrai : J’aime raconter des histoires et j’aime me raconter des histoires.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ÉLISE PADOVANI

Miséricorde, d’Alain Guiraudie

En salles le 16 octobre

Lire la critique ICI

ARTICLES PROCHES
- Publicité -spot_img
- Publicité -spot_img

Les plus lus