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Jeux olympiques : la mystification

Dans un livre à paraître le 15 mai, le journaliste Aymeric Mantoux démonte le mythe d’un olympisme humaniste, favorisant la paix et la concorde entre les peuples. Et de celui de son « fondateur », Pierre de Coubertin

Zébuline. La flamme olympique est arrivée le 8 mai à Marseille, quelle est son histoire ?
Aymeric Mantoux.
La flamme, emblème des Jeux est née à Olympie. Mais son parcours sous forme de relais est l’idée de Carl Diem chargé par Hitler d’organiser les Jeux de Berlin en 1936. À son initiative, la torche fabriquée par les usines d’armement Krupp est allumée dans le sanctuaire de Zeus, en Grèce, avant d’être acheminée à pied jusqu’à Berlin. Ce n’est ni une invention de Pierre de Coubertin, ni du Comité international olympique (CIO). On a choisi par la suite de conserver ce cérémonial… de propagande nazie.

Dans votre livre vous démontez le mythe du baron Pierre de Coubertin.
J’ai écrit ce livre car j’avais du mal à comprendre le décalage entre les activités très lucratives du CIO et l’humanisme affiché par ses membres se référant sans cesse aux valeurs de cet aristocrate de la fin du XIXe siècle. Les Jeux olympiques modernes favoriseraient la paix dans le monde, les rapprochements entre les peuples, le sport amateur. La « communauté des anneaux » a fait du baron Pierre de Coubertin un héros de l’olympisme, un demi-dieu. Or, le mythe ressemble plutôt à une mystification.

« C’était un opportuniste, un des premiers lobbyistes moderne »

Aymeric Mantoux © X-DR

C’est-à-dire ?
Par exemple, il n’a jamais inventé les Jeux modernes. Beaucoup avait eu l’idée avant lui. Il a surfé sur une idée qui était dans l’air du temps. Les devises olympiques qu’on lui prête « Citius, Altius, Fortius » ou « l’important est de participer » ne sont pas non plus de lui.
C’était un opportuniste, un des premiers lobbyistes moderne. Il s’est battu vingt ans contre vents et marées pour imposer son projet de « néo-Olympiades ». Avec ses « coubertinades » il vante à Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, les bienfaits du sport pour les enfants, au nationaliste Maurras, la nécessité de revitaliser la France, aux hommes de gauche la faculté d’étendre la paix dans le monde. Il ira jusqu’à prôner des idées marxistes espérant que le prolétariat puisse participer « tenacement, mais calmement, à sa propre élévation ». Il fut anti dreyfusard puis… dreyfusard. Le baron de Coubertin avait indéniablement des qualités : la diplomatie, la ténacité, le machiavélisme même qu’il a utilisé pour réaliser son grand œuvre mais l’humanisme, sûrement pas.

Il a même collaboré avec le régime nazi.
Tout à fait. Après la Première Guerre mondiale, les Allemands sont exclus des jeux mais sous couvert d’apolitisme Coubertin milite pour les réintégrer. Hitler y est peu favorable, souhaitant organiser des jeux aryens, puis se laisse convaincre. Il y voit un moyen de montrer au monde la supériorité de la race allemande. Coubertin a fait campagne pour les Jeux de Berlin. Intellectuel, introduit dans les milieux les plus influents du monde, il ne pouvait ignorer ce qui se passait outre-Rhin : les arrestations, les pogroms. Mein Kampf avait déjà été diffusé à des millions d’exemplaires. Les dirigeants du CIO, y compris Coubertin, se sont inclinés plus bas que terre devant le régime hitlérien. Les Jeux de Berlin signent la fin des valeurs de l’olympisme à considérer qu’elles aient existé.

Vous lui reprochez aussi sa misogynie
Beaucoup d’hommes soutenaient l’entrée des femmes aux JO. Pour lui, c’était inconcevable. Des années de rencontres avec des femmes athlètes ou militantes ne convaincront pas le baron. Il avait une conception martiale, élitiste du sport. Il faudra attendre son départ à la tête du CIO pour qu’elles puissent y participer.

« La seule raison d’être des Jeux olympiques est l’argent »

Et son racisme.
Conçus par des Blancs pour des Blancs, les Jeux olympiques ont été créés pour les pays « civilisés ». En 1904, Coubertin accepte que soient organisées les « Journées anthropologiques », des compétitions réservées aux représentants des « tribus sauvages » pour éviter de les intégrer dans ses Jeux. S’il a été en avance pour concrétiser les Jeux olympiques modernes, il était en retard sur tout le reste.

Que pensez-vous des J.O. contemporains ?

Je ne suis pas contre les jeux, j’ai d’ailleurs travaillé au service communication des J.O. de Paris. Mais je refuse que l’on nous berne avec un discours s’appuyant sur une biographie tronquée. À ces niveaux de compétition, le sport amateur n’existe plus. La seule raison d’être des Jeux olympiques est l’argent. Ils rapportent des milliards d’euros au CIO qui est devenu une multinationale commercialisant à prix d’or ses droits de retransmission télé, ses emblèmes et ses anneaux olympiques, à Visa ou Coca-Cola. C’est une énorme machine à cash dont on peut se demander ce qui en est fait.

Et des Jeux qui nous attendent ?
Ils sont là, autant les célébrer. Mais on nous avait promis des Jeux pour tous, inclusifs. Force est de constater qu’au prix des places, elles sont réservées à des « happy few ». J’aurais mieux compris qu’au nom de l’olympisme on construise 24 stades de baskets dans les quartiers sensibles. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNE-MARIE THOMAZEAU 

Pierre de Coubertin : l’homme qui n’inventa pas les Jeux Olympiques 
Éditions du faubourg.
Sortie le 15 mai
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