Zébuline. Vous créez à Châteauvallon Les petites filles modèles…
Joël Pommerat. Modernes pas modèles. Les petites filles modernes. C’est un titre provisoire pour moi.
J’ai dit « modèles »?
Je crois [l’enregistrement lui donne raison, ndlr]. Cela prouve que l’ambiguïté fonctionne,j’espère simplement qu’elle ne va pas trop bien marcher !
Est-ce pour cela que c’est un titre provisoire ?
Pour le moment [l’entretien s’est déroulé deux semaines avant la création, ndlr], ce n’est pas encore clair pour moi. Je n’ai pas de recul. Nous créons à Châteauvallon, mais le spectacle ne tournera que la saison prochaine. À la différence d’autres spectacles écrits pour les enfants,pour celui-ci je me suis laissé la possibilité de dévier. Je ne sais pas encore si je pourrai y inviter des enfants, et à partir de quel âge. Je ne veux pas qu’ils y risquent le traumatisme, l’angoisse, ou l’ennui.
Pourquoi redoutez-vous pour eux, précisément, ces trois maux, le traumatisme, l’angoisse, l’ennui ?
C’est une question d’âge, de maturité. S’adresser à des enfants au théâtre c’est s’interroger sur les sujets mais surtout la façon dont on les met en scène. Plus « comment on dit » que de quoi on parle. À ce stade je ne sais pas si la forme sera totalement adaptée à de jeunes enfants. Unecertaine violence subsiste pour l’instant, mais je redoute surtout l’ennui, si ma façon n’est pas assez lisible, assez claire pour des enfants. À partir de quel âge ils pourront suivre et ne pas s’ennuyer.
Que raconte ce spectacle?
C’est une histoire épique [un temps]. Je déteste raconter mes histoires [un temps]. Celle-ci est très accessible en termes de narration. Facile à suivre, mais avec des gouffres, des trous d’air [un temps]. Bon. Si on la prend par un bout c’est l’histoire de deux très jeunes filles. 10, 12, 13 ans au maximum qui découvrent qu’elles s’aiment d’amitié passionnelle. Et qui sont empêchées dans cet amour, et doivent s’affronter à des obstacles.
Avec trois acteurs ?
Oui deux comédiennes et un comédien.
Vous présentez ces Petites filles modernes comme du « théâtre roman »…
Oui, ça m’est revenu en travaillant, là. J’écris beaucoup de mes pièces avec une part narrative et descriptive. Pas toutes, La Fin de Louis ou Contes et légendes sont nettement dramatiques mais tous mes spectacles pour enfants, Cendrillon, Pinocchio et Le Petit Chaperon Rougepartent du narratif, d’une forme non théâtrale qui commence par quelque chose comme « il était une fois », avec des narrateurs incarnés qui deviennent des personnages et font des allers et retours entre les deux. Avec des degrés, dans Au Monde c’est plus conventionnel, dans Les Marchands les personnages ne disent que trois phrases et la narratrice occupe l’espace de la parole… Je ne fais pas ça systématiquement, partir du narratif, mais quand même j’ai fait ça souvent ! Pour ce spectacle j’ai procédé comme les autres fois mais avec une spécificité inattendue : j’ai beaucoup écrit. Si j’avais laissé aller davantage ça aurait pu être un roman. Puis le théâtre est venu demander sa place.
C’est à dire ? Le dialogue ?
La scène, les corps, les voix. J’aurais pu raconter simplement avec les mots, dialogue ou narration et description… mais il y avait des choses que je ne pouvais pas seulement raconterou faire dire. Qu’il faut faire voir ou deviner. La forme romanesque fige aussi, elle met les corps dans une sorte de retenue et de raideur. Ce n’était pas envisageable de porter ce narratif/descriptif sur scène seul, je ne pouvais pas tout faire de cette manière. Donc j’ai beaucoup coupé, et je continue de beaucoup couper…
Comment cela se présente-t-il sur scène ? À votre manière, avec des cuts et un traitement intimiste du son ?
C’est à nouveau une forme très découpée oui, très construite sur des transitions, des noirs, des coupures, des ellipses. Cette manière de mettre sur scène a à voir, pour moi, avec la forme narrative, ou avec des pièces séquencées comme La réunification des deux Corées. Mais cette fois-ci la lumière est prise en charge par la vidéo. Des images qui permettent de construire et déconstruire des espaces. C’est une écriture de la lumière spécifique à cette pièce.
AGNÈS FRESCHEL
Les petites filles modernes (titre provisoire)
Du 24 au 29 avril
Châteauvallon, scène nationale d’Ollioules
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