Le violoniste Sergej Krylov a saisi le public dans une interprétation volcanique du Concerto pour violon en ré mineur de Sibelius, l’une des œuvres les plus redoutables du répertoire. Dès l’introduction orchestrale de l’Allegro moderato, l’intensité s’installe. Puis le violon émerge, mélancolique et hanté, avant de déployer sa palette dans l’Adagio di molto au lyrisme bouleversant. Le finale, Allegro ma non-tanto, exige une technique impeccable : doubles cordes vertigineuses, sauts d’intervalles périlleux, passages fulgurants dans l’aigu. Krylov aborde l’épreuve avec un engagement corporel presque sauvage, habité par l’âme nordique de Sibelius. En bis, il interprète les Caprices de Paganini devant une salle médusée.
Il est dirigé par le chef italien Francesco Cilluffo, lui aussi invité pour la première fois à Marseille. La rencontre entre les deux hommes est d’abord surprenante. Krylov incarne l’énergie brute, le geste instinctif ; Cilluffo cultive l’élégance raffinée, la gestique ciselée. Le violoniste va constamment au contact du chef qui virevolte avec grâce face à l’orchestre. Et pourtant, miracle de la musique, cela fonctionne, divinement bien même, comme fonctionne aussi ce programme dont on peine d’abord à saisir la logique.
L‘Ouverture de Loreley d’Alfredo Catalani avait inauguré la soirée avec ses évocations aquatiques du Rhin et son lyrisme post-romantique italien. En seconde partie, les Variations Enigma d’Elgar révélaient leur profondeur sous la baguette de Cilluffo, semblant particulièrement heureux dans ce répertoire après la tempête du concerto. L’œuvre dévoile quatorze variations, chacune dédiée à un proche du compositeur. Le mystère de son titre, ce thème caché qu’Elgar n’a jamais révélé, alimente encore aujourd’hui les spéculations.
Chaque variation possède son caractère propre. La plus connue étant Nimrod, devenue au Royaume-Uni le symbole du Remembrance Day, journée de commémoration des soldats morts au combat. Le chef communique sa joie et l’orchestre répond avec emphase à cette démonstration de l’art de la variation orchestrale.
Ce concert porte finalement bien son titre, Les mystères de la vie : l’énigme d’Elgar, le secret nordique de Sibelius, la légende du Rhin de Catalani… Trois univers apparemment disparates qui, tel un kaléidoscope, révèlent en tournant une cohérence inattendue. Et au centre de ce prisme, la rencontre improbable mais fructueuse entre la fougue instinctive de Krylov et la préciosité de Cilluffo.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Le concert a été donné le 7 décembre à l’auditorium du Pharo, Marseille.
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