C’est avec une canette de Coca à la main, et un combo veste Adidas-robe de soirée qu’Hatice Ôzer accueille son public. Les musiciens, eux, sont déjà en train de jouer tranquillement dans un coin de la scène, en acoustique. Puis, alors même que le public n’est pas vraiment encore bien installé, que les lumières sont toujours vives, Hatice Özer, d’une voix juste, tranchante et a capella, lance les hostilités.
Sa création Koudour est présentée comme un spectacle de théâtre-musical. Et c’est en musique que ça démarre. Elle chante en turc, et on comprend pourquoi dès que la musique laisse place à la parole. Hatice nous parle de son enfance, passée dans la cité de La Borie-Basse en Dordogne, où vit une communauté turque venue ici pour couper du bois. C’est là qu’est né son amour pour la musique, dans les mariages auxquels elle participait toute son enfance dans la salle des fêtes, seul lieu de distraction du quartier – entre la mosquée et le temple des Témoins de Jéhovah.
En transe
Hatice chante, danse et joue. Elle parle d’amour, beaucoup, de ses tristesses et de ses joies, en s’adressant au public directement et avec force. Au point qu’une spectatrice, à qui elle semble s’adresser, ne peut s’empêcher de monter sur scène la rejoindre. Bientôt, c’est par grappe que le public descendra sur scène.
Car dès que les musiciens passent aux instruments amplifiés, on change d’ambiance, et ce n’est plus à du théâtre-chanté que nous assistons mais à un véritable concert. Dans cette musique turque aux accents psychédéliques voire électro, les musiciens brillent tous : Antonin Tri Hoang aux claviers et au saxophone, Matteo Bortone à la contrebasse et Benjamin Colin aux percussions. Hatice s’empare du davul, ce gros tambour turc qu’elle a souhaité apprendre – puisque c’est l’instrument qu’on entend le plus. Nait alors une transe entre les artistes et le public, une transe que l’on n’aurait pu imaginer dans un décor aussi austère qu’un auditorium. Et c’est ici la plus belle réussite de l’artiste, réussir à embarquer l’assemblée dans son propre monde, un monde fou et souriant, dans la nostalgie d’une enfance qui nous apparaît modeste mais assurément heureuse.
NICOLAS SANTUCCI
Koudour a été donné le 14 juin à l’auditorium du Mucem, dans le cadre des Rencontres à l’Échelle, à Marseille.