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La course dévastatrice du capitalisme industriel est-elle  inéluctable ? 

Philippe Descola était présent à Marseille le 15 février, pour une conférence organisée par l'EHESS. L'occasion de lui poser quelques questions sur son métier d'anthropologue, et la façon dont il colore sa vision du monde

Zébuline. Dans un petit ouvrage, Avec les chasseurs-cueilleurs, paru chez Bayard ce mois-ci, vous suggérez qu’on enseigne l’écologie et l’ethnologie à l’école. 

Philippe Descola. Oui, en tout cas dans le secondaire, dans la mesure où ce sont les deux sciences de la complexité qui traitent d’organismes et qui se déploient à un niveau non pas micro, mais macro. Les interactions entre les organismes sont plus complexes à étudier que les interactions microcellulaires. Je pense qu’il n’y a pas de meilleur moyen pour éveiller à la diversité du vivant, des civilisations, des langues, etc., que d’enseigner ces deux sciences à l’école. 

Vous avez travaillé avec un dessinateur, Alessandro Pignocchi. Qu’est-ce que cela apporte à un chercheur en sciences sociales de s’associer avec quelqu’un qui utilise le dessin ? 

Cela permet de donner une bien plus grande diffusion à nos propos. Le livre qu’on a co-écrit et qu’il a illustré, Ethnographie des mondes à venir, a remporté, comme on le souhaitait d’ailleurs, un grand succès auprès des jeunes. Essentiellement de par l’attirance des illustrations et sa notoriété dans le domaine des romans graphiques d’inspiration écologique. Il a beaucoup d’humour. Or il me semble que les questions graves et sérieuses peuvent aussi être traitées sur un mode humoristique, voire ironique. Ça les rend plus aimables que si l’on prophétise des avenirs sombres. Ce qu’on fait aussi, bien sûr, parce qu’ils sont inévitables. 

Parfois, c’est un peu difficile de ne pas désespérer au vu de l’actualité. Est-ce que le savoir anthropologique aide ?

Cela donne l’occasion de faire un pas de côté, dans la mesure où la connaissance anthropologique -et historique par ailleurs- offre des multiplicités de voies pour se comporter autrement entre humains et vis-à-vis des autres qu’humains. Je ne sais pas si c’est une consolation mais en tout cas, on peut puiser dans un trésor d’inventions et d’imagination cosmopolitique, disons, des stimulations pour s’imaginer que la situation ne va pas être éternellement identique à celle qu’on connaît. 

Bien sûr, il y a aussi le fait de partager la vie de populations autochtones qui sont en première ligne face à la dévastation du monde. On est entraîné par leur opiniâtreté dans la défense de leurs territoires, et aussi par l’inventivité qu’ils manifestent dans les formes d’actions politiques, et d’argumentations juridiques, quelquefois. Le droit que s’arrogent les humains, individuellement, collectivement, d’accaparer un morceau d’espace, et de le transformer en ressources pour leur profit, n’est pas du tout universel.

Claude Levi Strauss a écrit ceci dans ses Tristes Tropiques : « Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui ». Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

Je suis comme lui l’était, très amoureux des beautés de ce que les humains ont fait, en termes d’art, de musique, quelquefois de paysages… Mais je suis aussi réconcilié avec l’idée que les humains vont disparaître sous les coups de boutoir de leur propre voracité. Quand je dis les humains, ce ne sont pas les coups de boutoir de tous, ce sont ceux d’un système. Ce qui me désolerait, c’est la fin de la vie. On peut supposer, en tout cas les collègues cosmologues disent qu’il n’est pas impossible qu’il y ait d’autres planètes où elle existe ; sans doute très, très différente des formes qu’on connaît. Mais c’est quelque chose de tellement rare et précieux sur Terre que ce serait dramatique qu’une espèce y détruise la vie.

Entretien réalisé par Gaëlle Cloarec

À lire
Avec les chasseurs-cueilleurs
Philippe Descola
Éditions Bayard, 12,90 €
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