Zébuline. Vous venez de créer Célébration à Besançon, et vous le jouez à La Criée. Pourquoi le choix de cette pièce d’Harold Pinter ?
Hubert Colas. C’est un projet ancien. Célébration est la dernière pièce de Pinter. Il l’a écrite en 1999, un an avant sa mort. Après mon travail sur Martin Crimp, qui a une filiation évidente avec Pinter, il y a une quinzaine d’années, la Comédie-Française et le Festival d’Avignon m’avaient proposé une production commune de la pièce. Les directions ont changé, la production ne s’est pas faite, mais j’en ai gardé l’idée. Que je trouve particulièrement actuelle aujourd’hui.
Vous avez donc commencé par commander une nouvelle traduction…
Oui, la traduction de 2000 était une production de son époque, avec certaines minéralités. Louise Bartlett, qui est aussi la traductrice de Kae Tempest par exemple, rend la langue de Pinter plus directe et vivante. D’autant qu’elle a travaillé avec les acteurs l’oralité du français.
En dehors de cette traduction, en quoi cette pièce est elle plus « actuelle » qu’il y a 25 ans ?
Le rapport au public est facile, l’auteur Pinter est connu, Prix Nobel, le public français a une idée floue de son théâtre mais connaît son nom davantage que ceux des auteurs que j’ai pu mettre en scène. Cette popularité permet d’être très directement politique : la pièce répond aujourd’hui à la violente reprise en main du monde par le capitalisme sauvage, et à la part belle qui lui est faite dans les discours, et en politique, partout dans le monde. En plus de ce sujet très actuel, et de façon moins consciente sans doute, Pinter pointe les rapports d’assujettissement des femmes. C’est écrit avant #Metoo, le masculinisme n’est pas dénoncé explicitement, mais on le voit à l’œuvre dans le comportement des couples. La seule égalité que les femmes revendiquent est celle que les hommes énoncent, et qui les enferme dans des stéréotypes de femmes bourgeoises et dans un schéma violemment patriarcal.
Comment ce capitalisme sauvage est-il, consciemment donc, dénoncé ?
Ce sont trois couples bourgeois qui sont au restaurant. Un jeune couple qui vient tenter de se réconcilier, et un couple de nantis qui fête son anniversaire de mariage avec un autre couple. C’est tout de suite cru, violent et consanguin, comme le capitalisme. Ils sont entourés de trois serveurs qui illustrent aussi, de l’autre côté, la domination de classe. Nous avons accentué l’importance de ces trois figures de serveurs, en particulier dans le prologue.
Comment ?
Vous verrez, j’aimerais bien que cela demeure un surprise… Mais pour mettre en évidence que ces relations relèvent d’un schéma général, d’un ordre social artificiel, nous jouons tout cela comme un jeu de rôles que des acteurs endossent, faisant alterner non des personnages mais des figures : ils arrivent en tant qu’acteurs pour dénoncer l’ordre capitaliste à l’œuvre.
Vous dites « nous », et vos acteurs fétiches, Thierry Raynaut, Manuel Vallade, Isabelle Mouchard… ont collaboré à la traduction. Dans quelle mesure ce travail est-il collectif ?
Toute création au théâtre est collective, avec un fil que le metteur en scène tient mais de fait les écritures du texte et de scène se croisent, le jeu s’en mêle et change, l’espace et la musique aussi…
Vous avez mis en scène Sarah Kane, Martin Crimp, Shakespeare, Pinter… Avez vous une affinité particulière avec le théâtre anglais ?
Non je ne crois pas [un temps] mais peut être oui, en fait ! Sans doute un humour, même dans Shakespeare. Et une solitude par rapport au monde, un isolement mal compris par ceux qui le vivent, auquel je suis sensible.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL
Célébration
Du 27 février au 1er mars
Salle Ouranos, La Criée
Dans le cadre de la programmation du Théâtre du Gymnase hors les murs.
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