Zébuline. Votre saison s’ouvre sur une journée festive ce samedi 16 septembre. En quoi consiste-t-elle ?
Robin Renucci. J’avais pour désir d’ouvrir la saison sur une journée qui remettrait le théâtre à l’endroit des vraies richesses de la vie. Mon idée du théâtre est très loin des salles fermées prisées par la bourgeoisie du XIXe siècle. Je veux rappeler aux Marseillaises et aux Marseillais que ce lieu leur est consacré, et qu’ils y sont chez eux. Cette journée leur permettra notamment de circuler sur le plateau, et de se l’approprier. Une succession de rencontres, d’ateliers autour du souffle, mais aussi avec les libraires de l’Histoire de l’Œil, des comédiens de l’Eracm, les cuisiniers des Grandes Tables, célèbreront les arts mais aussi ceux de la table – un marché se tiendra, et la boulangerie Pain Pan y sera un invité de choix ! Aix-Marseille Université proposera également une expérience de sciences et d’art dont la thématique sera « Se nourrir en Méditerranée ». Et on dansera… et ce jusqu’à ce que Michel Portal propose un concert comme toujours décapant en fin de journée.
C’est une des directives marquantes de cette saison : son fort ancrage local.
Je ne pense pas que le rôle d’une scène nationale soit de proposer un défilé des productions parisiennes et des plus gros succès du Festival d’Avignon. Notre rôle est ailleurs à mon sens, ce qui ne signifie pas que le théâtre oublie d’être un lieu de représentation national, européen et international. Mais il est vrai que je voulais avant tout fêter la Méditerranée. L’Italie de Nanni Moretti, qui prend un grand risque en proposant chez nous sa première œuvre théâtrale. Celle de Pippo Delbono, emplie de poésie et de musique… La saison théâtrale s’ouvrira sur le spectacle d’Alice Zeniter, et c’est un choix qui me tenait à cœur. Car nous sommes en présence d’une autrice mais également d’une comédienne née, et d’une profonde méditerranéité. Dans la beauté de son écriture, dans sa capacité d’échange avec le public. Il me semblait utile de rappeler que la place pourtant essentielle des femmes dans ce domaine est encore trop souvent réduite à portion congrue. Et puis, c’est une écriture passionnante, généreuse, qui raconte avant tout ce qu’écrire veut dire : voilà quelque chose qui peut parler aux jeunes femmes, mais également à toutes et tous.
Cette question de la naissance de l’écriture, voire même du désir de l’écriture, était d’ailleurs déjà centrale dans votre seul en scène, L’Enfance à l’œuvre…
C’est une question qui me travaille, en effet ! Je conçois le théâtre non pas comme un art industriel, mais dans sa dimension artisanale. Le théâtre est une fabrique, qui se construit à échelle humaine. Elle met en contact profond des autrices, des auteurs et le public. Ce métier a très souvent été dévoyé par le vedettariat des acteurs ou des metteurs en scène : on va voir machine ou machin dans un spectacle, peu importe lequel… Et on oublie l’auteur, l’autrice, l’histoire qui se raconte : le récit. Je veux replacer le théâtre à sa vraie exigence, car je pense que c’est là que se trouve la possibilité d’inviter celles et ceux qui ne sont pas encore le public du théâtre, d’élargir la base sociale des publics. C’est pourquoi j’ai notamment décidé de proposer des spectacles sur un temps long, soit à peu près une dizaine pour le spectacle de François Cervantes, pour ma création À la paix !, quatre à cinq pour Alice Zeniter, Les Trois Mousquetaires, Suzanne aux Oiseaux… Je voulais que ces spectacles aient le temps de rencontrer un public qui n’est pas un public d’habitués, qu’il aille au-delà des deux ou trois salles combles faites par des grands noms auprès des seuls spectateurs et spectatrices qui connaissent les usages du théâtre. Évidemment, ce parti pris réduit les possibilités de proposer un nombre élargi de spectacles : il y a peut-être un peu moins de musique, un peu moins de danse… Et ce malgré mon goût de la tranversalité !
Et les nombreux partenariats que La Criée a noué de longues dates, et continue de mener, avec d’autres lieux, et des festivals …
D’autant que ce sont des partenariats qui ont toujours un sens très fort : il ne s’agit pas de prêter notre salle au premier projet venu, et la fraternité qui demeure entre les salles marseillaises, loin de toute compétitivité, me remplit de joie. Je suis évidemment sensible au travail que mène Marseille Concertspour faire vivre la musique classique dans cette ville. Mais également à la volonté du théâtre de garder le contact avec la littérature, et avec la pensée : le festival des Rencontres d’Averroès compte tout particulièrement pour moi. J’accueille avec grand plaisir plusieurs spectacles programmés par Dominique Bluzet, qui a compris que nous voulions tisser quelque chose qui aurait du sens. Le travail de Myriam Boudenia et Louise Vignaud, metteuse en scène de grand talent, sur les débuts de la guerre d’Algérie, est sensible, fort, remarquable. Je suis également très admiratif du travail mené par mes consoeurs Nathalie Huerta au Théâtre Joliette et Francesca Poloniato au Zef. Je sais enfin à quel point un festival tel qu’actoral est aujourd’hui nécessaire : ce théâtre contemporain, très contemporain, qui questionne les formes et le monde d’aujourd’hui.
Votre mise en scène d’une nouvelle traduction de la Paix d’Aristophane par Serge Valetti, à retrouver en novembre prochain, est très attendue. Comment en êtes-vous venu à concevoir ce projet ?
Il me semblait particulièrement juste de questionner aujourd’hui le sens de la guerre dans une société qui n’en a à la fois jamais été si lointaine et si proche. La pièce se réfère à un temps de trêve, qui ressemble au monde que nous connaissons aujourd’hui. Et c’est en temps de trêve qu’il faut questionner notre rapport à la guerre, sans se montrer moralisateur ou résoudre superficiellement cette question sans fin : pourquoi sommes-nous si belliqueux ? Le texte a 2500 ans mais il semble avoir été écrit il y a quelques années. La langue d’Aristophane est très forte, irrévérencieuse, emplie d’humour. Très astucieuse aussi, notamment dans sa réflexion écologique : l’essence pour la machine volante évoquée dans le texte est fait de matières organiques. On émet déjà l’hypothèse que nos déchets soient le carburant de l’avenir. Et puis il y a dans l’idée du titre, À la paix !, ce besoin dionysiaque, festif, de trinquer à l’avenir. Chez Aristophane, Hermès est le gardien de la vaisselle des Dieux. C’est dire si la convivance et la convivialité sont essentielles à la survie de l’être humain !
SUZANNE CANESSA
La Criée
Théâtre national de Marseille
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