Au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron le 24 juillet, on pouvait ainsi faire un détour par le cloître de l’abbaye de Silvacane avant de rejoindre la conque protectrice du parc de Florans. Un événement était programmé à la croisée du cloître : le claveciniste Jean Rondeau venait jouer, sans partition et tout d’un trait les Variations Goldberg de Bach (disque paru chez Warner Classics en février 2022). Son élégance, son naturel, son intelligence fine de l’œuvre, soulignaient la puissance et la foisonnante beauté de ce sommet de l’écriture contrapuntique. La lecture exhaustive du recueil, (environ cent minutes de jeu), se transforme en un exercice mystique, une ascèse qui permet des changements de tempi époustouflants de virtuosité technique pure, des respirations lentes à l’écoute du monde, laissant sourdre petit à petit une lumière qui s’extrait de la gangue des notes.
Hommage au silence
En trente-deux chapitres, tous les mystères de l’âme sont approchés, transmutés. Le temps s’arrête, l’infini s’installe. Rien ne saura faire sortir l’artiste de la bulle onirique que les harmonies dessinent. Les vibrations d’un téléphone (oui il faut vraiment éteindre et ne pas mettre en silencieux !) s’interposent entre deux passages. Le dos tendu, Jean Rondeau attend sans se retourner et reprendra lorsque le bruit parasite cessera. À la fin de la ronde, le claveciniste restera dans la même tension, mains posées sur le clavier, puis poings fermés sur les cuisses, droit dans la sublime beauté d’un silence qui ne veut pas s’éteindre avant que toutes les tensions se relâchent et qu’un tonnerre d’applaudissements viennent rouler sous les voûtes de l’abbaye. « Je considère que les Variations Goldberg furent écrites pour le silence, en ce sens elles se substituent au silence », déclare-t-il dans la présentation de son disque. Rarement l’invisible a été aussi tangible !
Après cette « ode au silence » [ibidem], il fallait entrer dans l’univers beethovénien, grâce à la belle interprétation de François-Frédéric Guy du troisième concerto du compositeur en un jeu très fluide, une souplesse de jeu rare qui s’accorda subtilement avec le superbe Hong Kong Sinfonietta dirigé avec pertinence par Yip Wing-sie. L’excellent ensemble, ayant pris totalement la mesure de l’espace dans lequel il intervient, avait encore gagné en rondeur, équilibre et expressivité. Sans doute la Symphonie n° 3 dite Héroïque de Beethoven était de trop en raison de sa longueur dans un programme déjà bien chargé. Difficile alors d’en goûter les nuances !
Maryvonne Colombani
Concerts donnés le 24 juillet à Silvacane et au parc de Florans dans le cadre du Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron.