Le sport serait populaire, et l’art élitiste. Le sport physique, l’art intellectuel. Le sport vide la tête et l’art la remplit… Entre ces oppositions fantasmées, niaises ou réelles, Des exploits, des chefs-d’œuvre s’engouffre et plonge le visiteur dans un fascinant miroir artistique à la pratique sportive. Né de l’intelligent commissariat signé Jean-Marc Huitorel, spécialiste des relations entre art et sport, et critique d’art, la nouvelle exposition prend place dans trois hauts lieux de l’art marseillais : au Frac Sud, au Mac et Mucem. Une triple entente qui permet d’agréger quelque 3 000 m2 de surface d’exposition, où les œuvres tissent, sur le fil du rasoir, un étonnant mariage entre gestes artistique et sportif.
L’Heure de gloire
C’est une exposition qui se décline en trois temps, trois lieux et trois thèmes. Au Frac Sud, le sous-titre prend des airs warholiens, ou patriotique, avec L’Heure de gloire. Et dès l’entrée, la gloriole du sport est de mise. On est écrasés par l’imposante sculpture de trois têtes de lion portant les anneaux olympiques signée Jean Bedez. Une œuvre réalisée à l’occasion des Jeux de Pékin en 2008, soulignant la puissance politique que le régime chinois avait donné à cet événement – on ne saurait reprocher de telles basses pensées à la France de Macron. La suite est plus fine, comme avec l’installation de Berdaguer & Péjus Smith, Norman, Carlos, Mexico 68, soit la reproduction en cinétographie Laban (système de notation chorégraphique) du podium historique ayant vu Tommie Smith et John Carlos soulever le poing en soutien au mouvement de lutte contre la ségrégation raciale dans leur pays. Le résultat est hypnotique, aussi léger que le poids historique derrière cette subtile composition.
Des œuvres politiques qui prennent place à côté de pièces plus spontanées, critiques ou joviales : on rit devant ce baby-foot conçu par Bianca Argimón, où les joueurs sont extraits de leurs barres, et gisent au sol, simulant une blessure. On est fasciné devant la beauté de ce vélo, percé de milliers de trous, ironisant sur la recherche démesurée de légèreté et de performance dans le cyclisme. Et on reste perplexe face à ces couples de motards qui s’enlacent amoureusement, flanqués d’injures homophobes à la place des pubs habituelles… Il ne faudra pas non plus louper les productions des élèves de l’École supérieure d’art d’Aix. Mordants, certains se sont amusés à révéler le revers de la médaille, frappants sur celles-ci des titres de presse tel « La fête du fric », ou en encore des caméras de surveillance.
Tableaux d’une exécution
C’est dans le flambant Mac de Marseille que la visite se poursuit. Cette fois sous le titre Tableaux d’une exécution, référence aux pièces pour piano de Moussorgski. Et comme son nom l’indique, le Mac s’intéresse à l’art « accroché » : des peintures, des dessins, des photographies. En guise d’accroche justement, c’est une impressionnante œuvre de Pascal Rivet qui accueille le public : un tirage photo de 6 mètres sur 9, aux mêmes dimensions que l’œuvre originale – qui, trop grande, ne pouvait entrer dans le musée. On y voit un peloton cycliste pris dans une chute, aux ondulations graphiquement superbes mais perturbantes, et on perd l’équilibre avec les coureurs. Plus loin, les huiles de Nina Childress, et notamment sa Goldengirl, femme seule sur la piste d’athlétisme, buste relevé, que la peintre auréole d’un coup de pinceau lumineux et solaire.
Le parcours proposera aussi la série Deuxième génération, de Jérémie Setton, qui dessine à l’eau et au savon d’Alep sur des panneaux de Placoplatre des scènes sportives : une femme s’étirant, une homme qui lance un poids… On apprend qu’il s’agit de ses grands parents, qui se sont rencontrés dans les milieux culturels et sportifs du Caire et d’Alexandrie en 1940. Ou encore les pièces de Johanna Cartier, dont le tableau Droit au but présente une femme en maillot et talons aiguilles, genoux écartés, ballon de foot entre les jambes. Un woman-spreading qui sonne juste dans l’univers très machiste du football. Le Mac offre enfin une grande place au travail de Julien Beneyton sur l’illustre boxeur français Jean-Marc Mormeck… qui en dit autant sur ce sportif, que sur l’attraction « maladive » – et fascinante – de son auteur.
Trophées et reliques
Place au troisième temps de l’exposition, intitulé Trophées et reliques. Et quand il s’agit de reliques, le Mucem n’est jamais très loin. Le parcours s’intéresse cette fois à l’objet : celui qui n’est qu’un simple ustensile, celui qui devient œuvre d’art et celui qui devient relique. À l’entrée de la salle, ce sont d’ailleurs six objets qui accueillent le visiteur, parmi lesquels des gants de boxe de Mohammed Ali, des chaussures de Franz Beckenbauer, un casque de Marcel Cerdan… Ces pièces, pourtant très réalistes, sont une œuvre de Guillaume Bijl intitulée Souvenirs du XXe siècle, et interroge directement sur la notion de vérité, sur la croyance en ce que l’on voit, ce que l’on croit, et l’intérêt que l’on porte à un objet selon à qui il a appartenu. Comme une mise en abîme, on pense aussi au travail des équipes de ce musée dans la constitution de ses fonds.
Des collections du Mucem d’ailleurs largement mises à contribution dans les installations, comme celles du musée national du Sport de Nice, qui viennent dialoguer avec des œuvres d’art. On retrouve Johanna Cartier, qui nous fait part cette fois de son talent de joaillière, en recouvrant un ballon de foot par une multitude de perles et pierres de pacotille. À côté de lui, un ballon carré réalisé par Fabrice Hyber, un autre signé de la main d’Aimé Jacquet, et utilisé pendant la demi-finale de la Coupe du monde 1998 entre la France et la Croatie. Occupant une bonne place de l’espace, on s’attarde sur l’installation Club réalisée par Aurélie Ferruel et Florentine Guédon : un quinzaine de pièces qui multiplient les techniques créatives : sculpture sur bois, peinture, tissage, moulage… ici un ballon de rugby (en plâtre ?) ; là une photo (d’elles ?) grimées dans une tribune. C’est frais, et tranche avec une acidité appréciable le reste du parcours muséal.
De ces trois expositions n’en faisant qu’une, il ne serait pas très malin d’en dessiner un podium. Toutes se répondent avec intérêt, et sont nourries de la même intelligence. Des exploits, des chefs-œuvres réussit son entreprise à plusieurs niveaux, comme celui de faire dialoguer le sport et l’art sans rabaisser ni le sport ni l’art.
NICOLAS SANTUCCI
Des exploits, des chefs-d’œuvre
Frac Sud
Jusqu’au 22 décembre
Mucem
Jusqu’au 8 septembre
Mac
Jusqu’au 8 septembre