Cannes 2017 : à 91 ans, Claude Lanzmann présente, hors compétition, Napalm, un carnet de voyage qui raconte sa première visite en Corée du Nord en 1958 (alors qu’il était un jeune communiste convaincu) et son histoire d’amour avec Kim Kun-Sun, une infirmière nord-coréenne de la Croix-Rouge, brûlée au napalm pendant les bombardements. Cette romance, il l’a déjà racontée dans son autobiographie, Le Lièvre de Patagonie. Il en tire un film tourné sur place, en 2015. Pour obtenir les autorisations, dans un pays sous haute surveillance, où images et récits ne peuvent être qu’à la gloire du Grand Leader, il prétend être là pour réaliser un documentaire sur le taekwondo. Son producteur François Margolin, qui l’a accompagné, a filmé Claude Lanzmann à ce moment-là.
Napalm de Claude Lanzmann était le retour sur les lieux d’un amour. L’Automne à Pyongyang de François Margolin, mis en lumière par Caroline Champetier (qui avait travaillé avec Lanzmann sur Sodibor), est un retour sur ce retour. Si le réalisateur de Shoah choisit de tourner en Corée du Nord, c’est que ce pays le fascine. Selon lui, on y a aboli le temps, réalisé le désir d’éternité ancré en tout homme. Tout y est figé depuis 1953, comme le sourire des Coréens et celui du président officiel Kim Il Sung, mort depuis 25 ans. Les rituels kimilsunistes sont immuables. Comme le salut aux colossales statues cuivrées des guides suprêmes, qui initie le film. On suit les déplacements balisés du vieil homme appuyé sur sa canne et de l’équipe réduite du film, flanqués de guides chargés de les surveiller et d’éviter tout contact avec les Coréens.
Temps suspendu
On parcourt les lieux de la romance avec Kim Kun Sun. Le réalisateur interroge Lanzmann, le provoque parfois. « En 58, qui aimait la Corée ? », le vieil homme envoie son interlocuteur sur les roses. Et devant le fleuve de ses amours passées où, comme un gamin, il a fait des ricochets, récite in extenso Le Bateau ivre de Rimbaud. Devant les photos grand format des fondateurs de la dynastie Kim Il, on assiste aux réunions avec les guides-censeurs vérifiant chaque jour les images captées. On entend les dialogues surréalistes. Amusés de l’embarras du traducteur, de l’opiniâtreté et de la roublardise de Lanzmann pour essayer de faire avaler le gros mensonge du film sur les arts martiaux qu’il est censé réaliser. Amusés enfin par ses regards caméra, malicieux et complices.
François Margolin propose avec L’Automne à Pyongyang, non pas un making-off de Napalm, mais un portrait en actes et en mots, de ce nonagénaire qui était contre la mort, mais dont ce sera le dernier voyage. Claude Lanzmann s’inclinera devant la camarde le 5 juillet 2018, à Paris. Dans cet ultime périple, « il retrouve une jeunesse éternelle, la sienne, en premier lieu », nous dit François Margolin. Grand séducteur, il ne cherchera d’ailleurs pas à revoir son infirmière, qui a forcément vieilli, et lui renverrait ce vieillissement en miroir. Le monument Lanzmann, grand intellectuel qui a traversé les tourmentes du XXe siècle, s’impose au premier plan. On peut toutefois ressentir un certain malaise en distinguant, en arrière-plan, un pays soumis depuis 70 ans à un communisme dystopique auquel, dans le sillage de l’anti-américanisme, il a pu croire, un pays où le temps ne s’est pas suspendu sur un paradis mais sur un cauchemar sans fin.
ÉLISE PADOVANI
L’Automne à Pyongyang, de François Margolin
Sorti le 12 avril