lundi 6 mai 2024
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Le Festival d’Aix célèbre Stravinsky… en musique et en image

Quittant la cité aixoise, le festival d’art lyrique aime depuis l’an dernier à donner rendez-vous au Stadium de Vitrolles, ce Cube d’encre noire posé sur les rejets rouges de bauxite, si longtemps abandonné. Les propositions y effectuent un pas sur le côté, ouvrant à d’autres formes, controversées, critiquées, mais éminemment intéressantes

Au programme de cette édition, les trois grands ballets d’Igor Stravinski, L’oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps étaient joués, « accompagnés », c’est le terme choisi pour évoquer ce travail, par des créations cinématographiques inédites de Rebecca Zlotowski, Bertrand Mandico et Evangelista Kranioti. Pas de danseurs donc, ni d’évocation des chorégraphies chères à Diaghilev, la pellicule projetée sur écran géant transportait dans de nouveaux imaginaires.

Peu importe de savoir s’il était judicieux de vouloir accoler aux musiques des images, certes, l’œuvre de Stravinski se suffit à elle-même, surtout interprétée comme elle le fut ce soir-là, puissante, nuancée, éclatante, menée par le jeune chef Klaus Mäkelä qui dirigea avec une intelligence passionnée un Orchestre de Paris flamboyant. Mais la vision d’artistes, poétique, politique et mystique selon leurs différentes propositions, soulignait par ses écarts, son originalité, ses inattendus, la force évocatrice des pièces et leur éternelle contemporanéité. On peut par ailleurs se rappeler que Stravinsky écrivit pour les ballets, donc ne conçut pas la musique seule au départ : pour L’oiseau de feu, Michel Fokine, chorégraphe des Ballets russes, réglait la chorégraphie au fur et à mesure que le musicien rédigeait sa partition.

Des cordes exacerbées

L’architecture intérieure brute du bâtiment, murs sombres, gradins vertigineux, vue sur la fosse d’orchestre en plongée abrupte, offrait malgré les apriori possibles une acoustique idéale à la grande formation orchestrale qui se livra à un véritable marathon, enchaînant (avec entracte quand même) les trois ballets. Équilibre des pupitres, soli d’une bouleversante clarté (ah ! le cor de L’Oiseau de feu !), épousent avec une justesse et un allant irrésistibles arabesques chromatiques orientalisantes, trémolo des cordes, sonorité pure de la flûte ou du hautbois, danses rapides, scandées par les trompettes, réminiscences de mélodies du folklore russe, accords violents et ruptures brutales de L’oiseau de feu, stylisation des motifs, esthétique du collage avec des thèmes courts organisés selon une logique qui réitère, alterne, superpose, rythmiques distordues, couleurs tranchées de Petrouchka, puissance rythmique d’une partition quasi paroxystique qui explore toutes les possibilités d’un grand orchestre en le colorant d’instruments rares, flûte en sol, petite clarinette, trompette piccolo, multiplie les tessitures délicates et aligne une armada percussive qui souligne l’exacerbation des cordes du Sacre du printemps

C’est le sourire éclatant de Natalie Portman (incognito dans la salle lors de la représentation du samedi) qui éclaire le travail de Rebecca Zlotowski qui, pour rendre ce que lui inspire L’Oiseau de feu, effectue un montage des rushes et passages coupés du film Planétarium qu’elle a réalisé en 2016, dans lequel elle racontait l’histoire de deux sœurs américaines médium, Nathalie Portman et Lili-Rose Deep, dans le Paris d’entre-deux guerres). La silhouette récurrente d’un oiseau crée le lien avec le ballet ainsi que la répétition des « pas de deux » des actrices avec les divers protagonistes qu’elles fréquentent. Bertrand Mandico propose la création sans doute la plus originale mêlant images dystopiques et dessins animés d’une autre époque. Le rôle de Petrouchka est endossé par une jeune fille gavée de pilules, véritable marionnette d’une réalité incompréhensible, et perdue dans le monde de la mode dirigé par une créatrice borgne et autoritaire qui organise des défilés dans des sous-sols underground. Enfin, Evangelia Kranioti s’empare du sujet du Sacre un peu comme Cocteau dans l’Orfeo Negro, jonglant entre la nature sauvage de l’Arctique, une séance de chamanisme, le carnaval qui brouille les pistes, entrant dans un mysticisme lyrique où le sacrifice est lié aux rites initiatiques d’adolescents qui voient leur jeunesse déchoir dans les favelas de Rio.

L’humour, la finesse, l’empathie, la justesse précise des phrasés, viennent rejoindre les forces telluriques et les grands mystères. La musique de Stravinsky, magnifiée par l’Orchestre national de Paris à la fois aérien et d’une solidité de rocher, dirigé avec panache par Klaus Mäkelä était le vainqueur incontesté de cette supposée joute artistique.

MARYVONNE COLOMBANI

Spectacle vu le 8 juillet, Stadium de Vitrolles dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.

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