lundi 22 avril 2024
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Le Festival de Pâques en pleine ascension 

La dixième édition du festival d’Aix-en-Provence affiche un record absolu de fréquentation, avec près de 30 000 spectateurs

Le concert de clôture reflète l’esprit du Festival de Pâques. La carte blanche du fantastique violoniste qu’est Renaud Capuçon s’attache à réunir sur scène la belle phalange de Génération @ Aix dont une partie a débuté là il y a dix ans. Désormais aguerris, les jeunes musiciens jouent d’égal à égal avec le maestro, lui donnent la réplique avec fougue, lorsqu’ils ne sont pas seuls, face à de sublimes partitions comme Violoncelles vibrez ! pour deux violoncelles et orchestre (de six violoncelles) du contemporain Giovanni Sollima. Après les plus classiques Bach et Vivaldi, Renaud Capuçon annonce un thème et variations sur les modèles de Haydn, Bach, Mozart, le cinéma et bien d’autres… Un « joyeux anniversaire » pétillant d’humour et de facéties.

Des solistes éblouissants

Auparavant on est saisis par la palette d’Alexandre Kantorow qui, dès les premières attaques, séduit par la connivence établie d’emblée avec le piano. L’instrument n’est plus que le vecteur d’une âme. Le pianiste tisse des paysages infinis, laisse respirer la partition. Son éblouissante virtuosité offre à ses interprétations un phrasé lumineux à la fois aérien et profondément ancré dans la matérialité sonore. Bien sûr, on attendait Martha Argerich, l’immense, la fantaisiste, la merveilleuse. Elle plonge dans l’essence des œuvres, en livre la quintessence et leur accorde un air d’évidence limpide. L’excellent pianiste et complice Lahav Shani lui donne la réplique. Prokofiev, Rachmaninov, Ravel, peu importe le compositeur, des mondes s’ouvrent, et on se laisse guider aveuglément. Incroyable soliste, avec des capacités qui semblent échapper au commun des mortels, Yuja Wang interprète avec une indicible puissance le Concerto pour piano composé pour elle par Magnus Lindberg, une étoffe taillée sur mesure : le bel Orchestre de Paris sert alors d’écrin à la pianiste, lui faisant écho sur des vibrations, prolongées par les cordes ou les percussions, en une esthétique cinématographique. Il faudra à l’orchestre se retrouver seul dans la Symphonie n° 6, dite Pathétique de Tchaïkovski pour montrer toute sa finesse, évitant les pièges du pathos comme ceux de passages parfois trop martiaux, sous la direction très enlevée et subtile de Klaüs Mäkelä qui semble danser les partitions.  

Des ensembles aussi

Avant l’Orchestre de Paris, d’autres formations démontrent leur excellence sur la scène du Grand Théâtre de Provence. Ainsi, l’Orchestra Mozart, d’une remarquable unité dans ses couleurs, ses phrasés, la circulation des thèmes en une palette cohérente sous la houlette efficace de Daniele Gatti, abordant avec une infinie douceur Siegfried-Idyll que Wagner composa pour l’anniversaire de son épouse, Cosima. Il est vrai que ce concert aura souffert de la proximité avec celui du Quatuor Dutilleux donné au conservatoire Darius Milhaud, dont la verve sert avec panache le Quintette à cordes de Fauré avec le pianiste Jorge Gonzales Buajasan et le somptueuxQuatuor à cordes en fa majeur de Ravel. On entend aussi ce compositeur que l’on réduit trop souvent au Boléro, lors du concert Solistes de la Karajan-Akademie de Berliner Philharmoniker, dans son Introduction et Allegro pour harpe, flûte, clarinette et quatuor à cordes en sol majeur, une pépite ! Inclassables les soirées d’opéra et de chant. Le Gürzenich Orchester Köln dirigé avec une élégante justesse par François-Xavier Roth joue une version de concert du Vaisseau Fantôme de Wagner d’anthologie avec le Chör der Oper Köln, époustouflant de présence dans une mise en espace qui le convoque devant la scène, faisant entrer le public dans les eaux nordiques tandis que les solistes (tous les chanteurs sans partition !) interprètent avec une intelligence passionnée ce récit de damnation et de rédemption (Ingela Brimberg est une exceptionnelle Senta). Le temps s’efface devant Electric Fields conçu par David Chalmin (électronique live) et la soprano Barbara Hannigan. Sa voix, comme venue d’un autre monde, module sur les brisures, fragile et bouleversante à l’extrême dans son exploration des limites ; puis elle est reprise par les effets électroniques qui la renvoient à l’octave en un dialogue polyphonique ; parfois murmurée, elle laisse transparaître les crêtes sonores et les pulsations des textes, transcendant les mots et les musiques de Hildegarde von Bingen, Barbara Strozzi ou Francesca Caccini, accompagnée par les deux pianos de Katia et Marielle Labèque, en un tissage onirique et arachnéen. Le monde est musique. 

MARYVONNE COLOMBANI

Le Festival de Pâques s’est tenu du 31 mars au 16 avril à Aix-en-Provence.
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