Dans la continuité des études africaines-américaines et des travaux sur la diaspora africaine, l’exposition présentée au Centre Pompidou (Paris), Paris Noir – Circulations artistiques et luttes anticoloniales (1950-2000), offre un panorama exceptionnel des artistes africains, caribéens et afro-américains ayant marqué la scène parisienne entre 1950 et 2000. Un événement majeur à découvrir jusqu’au 30 juin 2025.
Inédite par son ampleur, cette initiative éclaire l’apport des artistes et auteurs afrodescendants à la vie artistique et intellectuelle parisienne, ainsi que leur rôle dans les luttes anticoloniales. Cette rétrospective ambitieuse, rassemblant 150 artistes, propose une relecture critique de l’histoire culturelle française à travers le prisme des diasporas noires.
Sous la direction d’Alicia Knock, cheffe du service de la création contemporaine et prospective au Musée national d’art moderne, ce projet vise à restituer une histoire artistique globale longtemps marginalisée. Il met en lumière des figures telles que Beauford Delaney, Chéri Samba, Gérard Sekoto et Everlyn Nicodemus, donnant à voir un Paris devenu carrefour intellectuel et artistique des mondes noirs.
Luttes civiques et décoloniales
Depuis les années 1980, plusieurs personnalités du mouvement des droits civiques aux États-Unis, telles que Martin Luther King Jr., Rosa Parks ou Malcolm X, sont intégrées à l’espace mémoriel français. Si cette « externalisation » de la question raciale a permis au modèle républicain d’éviter une confrontation directe avec son passé colonial, plusieurs générations racisées en France se sont réappropriées ces figures pour inscrire leur combat dans une filiation transnationale et décoloniale. Déjà en 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme empruntait son modèle à la March for Jobs and Freedom de 1963 à Washington.
En parallèle, les pensées de Frantz Fanon et d’Édouard Glissant gagnent du terrain au-delà des sphères militantes ou académiques. De la Négritude aux mouvements panafricains, l’exposition souligne l’importance des lieux d’échange et de sociabilité qui ont façonné cette dynamique, ainsi que la redéfinition des modernités artistiques impulsée par les diasporas noires.
Transmettre et valoriser
Paris Noir s’accompagne d’une politique d’acquisition et de dialogue avec la société civile, articulée autour de conférences et de la collecte d’œuvres et d’archives dans une démarche de rattrapage institutionnel. L’exposition met en lumière des œuvres souvent inédites d’artistes ayant contribués à la définition de l’art moderne, de l’Afrique aux Amériques.
Au-delà de la perspective historique, elle révèle comment la matrice coloniale entre en résonance avec l’héritage esclavagiste, ségrégationniste et avec le racisme structurel issu de l’économie-monde capitaliste et des empires coloniaux européens.
Paris apparaît ici à la fois comme vivier intellectuel et artistique pour les Afro-Américains et Antillais, et comme capitale coloniale, encore marquée par la célébration du centenaire de l’Empire, la création des Dom-Tom (1946) et les conflits d’outre-mer, notamment la guerre d’Algérie déclenchée en 1954.
Déconstruire les récits
La scénographie de l’exposition s’inspire largement du concept de Tout-Monde d’Édouard Glissant, proposant une cartographie vivante des circulations artistiques et politiques entre Paris et les mondes noirs.
Cette approche décoloniale vise à déconstruire les récits hégémoniques et à restituer la complexité des interactions culturelles. Dans un monde globalisé mais conflictuel, la notion d’identité relationnelle plutôt que racinaire devient un modèle théorique privilégié pour repenser les récits muséographiques.

Huile et émulsion de tempera à l’œuf sur toile Virginia Museum of Fine Arts, Richmond. J. Harwood and Louise B. Cochrane Func
for American Art
Paris Noir s’inscrit ainsi dans le renouveau des débats sur la mémoire coloniale et les politiques culturelles en France. L’exposition interroge la place des artistes afrodescendants dans les institutions culturelles et souligne la nécessité de repenser les récits nationaux à l’aune des histoires diasporiques. Elle constitue en cela une contribution majeure aux réflexions décoloniales contemporaines.
SAMIA CHABANI
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