vendredi 30 août 2024
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Le transgenre, c’est (pas) du cinéma 

Avec Emilia Perez Jacques Audiard fait exploser les frontières des genres et des représentations sexuelles et cinématographiques. Déroutant et révolutionnaire

Emilia Perez est un film de genre, mais de tous les genres. Porté par quatre actrices sublimes qui chantent et dansent dans tous les styles, tourné en France en studio mais parlant en espagnol des cartels mexicains, il entremêle les esthétiques de série mafieuse, de polar, de telenovelas et de comédie musicale. Jubilatoire dans les libertés qu’il prend avec les frontières, il n’en aborde pas moins des réalités tragiques : le narcotrafic, la corruption politique et les féminicides, 10 par jour au Mexique. Sans compter l’identité de genre et la chirurgie de transition, eux aussi confondus en une transition d’identité nécessaire : Emilia en devenant la femme qu’elle est depuis toujours,  efface, en même temps que son corps d’homme, son passé massivement criminel. 

Intense griserie

Comment cette histoire de trans mexicaine et de narco trafic a-t-elle pu concerner Jacques Audiard, cinéaste cisgenre, français, éloigné jusqu’alors du film de genre ? Dès l’entrée, le tourbillon des plans serrés, des décrochages chantés, la présence très puissante des deux actrices principales et l’enchaînement rapide des étapes narratives emmènent le spectateur dans une griserie intense, colorée et violente, où le doute a peu de place, où les réticences se balayent. La B.O. de Camille et Clément Ducal, qui navigue du rap et du rock à la ballade, jusqu’à une très belle réécriture des Passantes de Brassens en fanfare, colle remarquablement aux images et au talent spécifique de chacune des actrices/chanteuses. Un plaisir musical qui redouble celui des images, de l’humour queer, des rebondissements, des références discrètes à Narcos et autres Casa de la flores. Et une gratitude : le rôle principal est tenu par Karla Sofia Gascon, une actrice trans récompensée par une Palme d’or d’interprète féminine ; et la transition de genre est posée comme un élément essentiel de l’intrigue, sans pour autant être le sujet principal du film, imposant  la révolution queer comme un élément nouveau des réalités et des imaginaires. Ce que Marion Maréchal Le Pen n’a d’ailleurs pas manqué de dénoncer. 

La femme, avenir de l’homme violent ?

Pourtant quand le film cesse, quelques réticences qui ont survécu au tourbillon du film reviennent, feed back de séquences qui manquent de clarté, ou de délicatesse : la plaidoirie qui permet d’acquitter le féminicide vécue comme une victoire, le musical clinquant dans la clinique de chirurgie de transition, la violence et la voix masculine qui ressurgissent après la transition comme une vérité cachée, l’incarnation du Mal et du meurtre de masse par un personnage trans, gênent aux entournures d’un sujet délicat. Si le Mexique a élu une femme pour tenter de sortir de sa violence et de la terreur masculiniste, l’absence totale de personnages masculins positifs ne saurait être un modèle de société queer, dans laquelle les hommes, cis ou trans, doivent trouver une place !

AGNÈS FRESCHEL

Emilia Perez, de Jacques Audiard
En salles depuis le 21 août
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