George Benjamin avait bouleversé le Festival avec le monument qu’est Written on skin, sur un livret de Martin Crimp. 11 ans plus tard le même duo de création livre un nouveau chef d’œuvre.
Le récit écrit par le dramaturge, complice de longue date du musicien, dans un style en épure, très resserré, met en scène une femme qui vient de perdre son enfant, alors qu’il commençait à former ses premières phrases. Refusant sa mort, elle va tenter de le ramener à la vie. Il lui faudra rapporter le bouton du vêtement d’une personne heureuse. Trois « Parques », personnages aux habits noirs surgis au moment du deuil, lui tendent une feuille de route désignant les personnes qu’elle devra rencontrer et solliciter.
Chercher la voix du bonheur
Une note de piano, prélude à un chant dépouillé où naissent naturellement quelques mélismes, éclot dans le miroitement des ombres rendant le noir vivant comme un tableau de Soulages. Le Mahler Chamber Orchestra dirigé par le compositeur épouse les variations du texte, le chatoiement de ses nuances, telle une toile moirée. Marianne Crebassa apporte à ce dénuement le velours de sa voix de mezzo-soprano, émouvante dans sa droiture et sa retenue, rendant plus tangible encore sa colère devant l’atroce perte.
Elle croise des Amoureux, Beate Mordal et Cameron Shahbazi, mais l’Amant proclame son engouement pour le polyamour. L’Amante le rejette alors. La soprano amoureuse deviendra plus tard une Compositrice bipolaire arrogante et égarée dans les affres de la composition, changement de rôle jubilatoire !
La mère croise encore un baryton à la tessiture vertigineuse, John Brancy, qui campe un Artisan versatile qui trouve le bonheur dans sa « molécule de chlorpromazine ». Puis un Collectionneur qui cherche à être aimé de la Femme en échange du bouton. Enfin, dans un jardin merveilleux (vidéo somptueuse du plasticien Hicham Berrada), elle rencontre Zabelle, subtile Anna Prohaska, qui est heureuse seulement parce qu’elle n’existe pas…
Le retour au réel, au cœur des trois murs en miroirs opacifiés de la scénographie de Daniel Janneteau et Marie-Christine Soma, se teinte alors de fantastique, un bouton brille dans la main de la mère…
La fin reste ouverte, le monde intérieur, l’espace de jeu, le livret, la musique, sont en symbiose totale, dans cette bulle onirique et poétique. Un spectacle envoûtant et hypnotique.
Maryvonne Colombani
La pièce se tenait jusqu’au 24 juillet, Jeu de Paume, Festival d’Aix-en-Provence