La Macronie n’en est plus à une perversion sémantique près. Les accusations en islamo-gauchisme portées sans suite par Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer avaient déjà considérablement ranci ce qui reste, aujourd’hui, de débat politique. Les procès tous azimuts en wokisme ont fait du paysage politique français la risée, entre autres, de ses voisins européens, bien incapables de comprendre ce que ce néologisme franglais pouvait bien signifier, et pourquoi il succédait à la tout aussi obscure panique face à ladite « théorie du genre ». Et Gérald Darmanin de s’emparer à nouveau d’une expression venue tout droit de l’extrême-droite : le « terrorisme intellectuel ». Victor Hugo, plaidant dans ses Misérables pour un monde idéal, où « ni despotisme, ni terrorisme » ne viendraient menacer un peuple libre, en aurait certainement pleuré, de rage ou de chagrin. Il n’est pourtant pas si loin, le temps où le Robert définissait le terme « terrorisme » ainsi : « gouvernement par la terreur », description bien plus proche de l’obstination sans bornes de l’exécutif que des rares débordements pointés du doigt.
Une histoire de violence
Nul besoin cependant d’observer la surdité criminelle de l’État à des revendications pourtant légitimes, ou l’éternelle violence d’une classe de possédants à l’égard d’un peuple plus paupérisé que jamais, pour constater envers qui la violence symbolique se déploie. Car la violence physique écrase déjà ceux qu’on accuse d’être des « casseurs professionnels » : ce manifestant plaqué au sol et déshabillé par un policier en pleine rue à Lyon, jeudi dernier ; ce militant de Sud Rail qui ne recouvrera pas la vue de son œil gauche ; ces étudiantes victimes de violences sexuelles à Lyon il y a deux semaines ; et le pronostic vital de Serge D., toujours engagé. Pour eux, et pour tant d’autres victimes de violences policières, l’avenir ne pourra se concevoir sans une résistance de la langue, de la littérature, de la culture. De cette culture où les Réactions Françaises habilement dénoncées par François Krug n’ont que trop infusé.
C’est aussi au nom de ces laissés-pour-compte de quartiers isolés et fragilisés qu’il faudra lutter. Pour les morts et blessés, si jeunes, victimes des fusillades de ce dimanche. Contre cette terreur-là, il est urgent d’agir – et de trouver les mots qui s’imposent.
SUZANNE CANESSA