Au Théâtre du Bois de l’Aune d’Aix-en-Provence, Argyro Chioti interroge avec Eau de Cologne notre rapport à la mort et au souvenir
Créé en novembre 2019 au Théâtre National de Grèce, Eau de Cologne, le spectacle d’Argyro Chioti – sur un texte communément réfléchi puis écrit par Efthimis Filippou –, livre dès la feuille de salle le déroulé du propos : il s’agit de transmuter en eau de Cologne les mots que l’on souhaite communiquer à une personne défunte. Ici, ce sera un fils qui désire lire une lettre à sa mère, moment de haute poésie en une langue d’une pureté onirique. Comme dans une tragédie antique, l’important n’est pas là, mais réside dans le chemin dessiné autour du propos. Écho du chœur tragique, l’ensemble de cinq actrices compose un chœur énigmatique de petites filles qui mimeraient les grandes, effectuent des gestes cabalistiques, empruntés à une liturgie éleusienne. L’ambiguïté entre le caractère hiératique attribué aux rituels magiques et la désinvolture enfantine instaurent une distanciation qui renforce l’étrangeté de la scène.
Innocence et cruauté
Les enfants jouent, dansent, chantent (superbes compositions de Jan Van de Engel) sur des modes polyphoniques. Elles invoquent le « Saint Nez » qui permet le passage de la matérialité des mots aux invisibles fragrances d’un parfum. Ici encore on hésite entre la drôlerie des paroles de l’incantation dédiée au nez et le sérieux des choristes munies alors de cierges allumés. Le comportement imprévisible des jeunes prêtresses donne lieu à une saynète jubilatoire lorsqu’un téléphone portable se met à sonner, conduisant à une partie de foot tribale. L’innocence et la cruauté se conjuguent. Les agacements devant les hésitations du fils à lire sa lettre, cèdent la place à une oreille attentive, et au déroulé de la cérémonie, les phrases se transcrivant sur un écran roulant en dessins et couleurs. Un extrait de parfum (jasmin, fleur d’oranger, menthe poivrée) sera offert à tous les spectateurs, acteurs silencieux de ce moment initiatique bercé de chants et de chorégraphies déjantées. L’emploi du grec, surtitré en français, ajoute à la magie et à la musicalité de la pièce.
Eau de Cologne a été donné les 16 et 17 novembre au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.