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Les Rencontres d’Averroès, 30 ans pour p(a)nser la Méditerranée

Cette 30e édition des Rencontres d’Averroès sur le thème “tout empire périra ?” marque la fin de la présidence de son fondateur, Thierry Fabre. L’occasion de revenir sur les trois décennies de débats autour de la Méditerranée des deux rives

11 novembre. C’est une journée automnale où la pluie tombe dans les ruelles de Marseille. Une effervescence inhabituelle s’échappe du théâtre des Bernardines. Les Marseillaises et les Marseillais s’entassent devant l’entrée pour tenter de s’y engouffrer et écouter les débats passionnés qui jaillissent de la salle. Une imposante affiche se distingue fièrement avec pour inscription :  « Les Rencontres d’Averroès – 1994 ».

Une première dans la Cité Phocéenne et un pari fou que Thierry Fabre s’était lancé : organiser un événement, un lieu de rencontres pour penser la Méditerranée des deux rives. Ainsi naissent les Rencontres d’Averroès. « A ma grande surprise, c’était plein à craquer. C’était une véritable université populaire ! », se remémore avec nostalgie le fondateur. Par manque de place, l’évènement se délocalise vers le théâtre de la Criée l’année suivante, preuve de sa réussite.

Trente ans plus tard, il est l’heure pour lui de laisser sa place. A 63 ans, Thierry Fabre, a décidé de quitter la présidence des Rencontres pour se diriger vers d’autres « salves d’avenir » loin de l’effervescence marseillaise. Le trentième anniversaire des Rencontres, placées sous le signe des empires, est l’occasion de dire au revoir à ce « sacré pionnier » à en croire Fabienne Pavia, co-directrice de Des Livres comme des Idées, association qui reprend l’organisation de l’événement. 

L’emblème Averroès, héritage des Rencontres

Encore aujourd’hui, le succès ne faiblit pas. Au total, plus de 350 intervenantes et intervenants ont participé à ces rencontres qui ont débattu devant plus de 800 personnes réunies à chaque débat. Les Rencontres d’Averroès, ce sont quatre tables rondes réunissant chercheuses et chercheurs, penseuses et penseurs, historiennes et historiens autour d’une grande thématique. Avec une seule consigne : ne pas lire ses notes. Véritable « agora contemporaine » selon les mots de Thierry Fabre, le débat est alors ouvert autant entre spécialistes qu’avec le public, jamais à court de questions. Même les plus polémiques.

Si cet évènement a eu autant de retentissement, c’est parce qu’il traitait d’un héritage impensé, celui des sources arabes de la culture européenne. Il y a trente ans, seules les origines romaines, grecques et judéo-chrétiennes étaient valorisées, comme fondatrices des valeurs de l’Europe.  « L’héritage andalou », premier thème des Rencontres, vient poser la question de cette Andalousie au pluriel, une région espagnole au carrefour des civilisations latines, arabes et juive. La tâche est grande : réévaluer le poids des héritages culturels et démystifier le terme « arabe », chargé de pathos.

Une Andalousie également symbolisée par la figure emblématique des Rencontres : Averroès, ou Ibn Rochd. Philosophe et juriste andalou éminent, il a joué un rôle significatif dans l’évolution de la pensée critique au sein de l’islam bien que sa contribution ait été négligée dans la philosophie européenne. C’est lors d’un entretien avec Alain de Libera, et son ouvrage Penser au Moyen-Âge (1991) que Thierry Fabre choisit Averroès comme emblème. Un choix qui prend tout son sens. 

Depuis cette première édition, les Rencontres ont parcouru du chemin. Son acmé reste 2013, année où Marseille devient capitale de la culture. Après ce paroxysme, Thierry Fabre est envahi d’un doute. A-t-il fait le tour ? S’il a pensé ne plus pouvoir se renouveler, le président a compris, lors des attentats de 2015, que l’événement est d’autant plus utile dans une période d’incertitude, où l’hérésie triompherait de la raison. Face à tant de doutes de la part du public marseillais, il est primordial de garder les Rencontres pour continuer à donner des clés de compréhension d’un monde méditerranéen en perpétuel mouvement.

A chaque obstacle, sa solution. Suite aux attentats, Thierry Fabre agit et s’associe avec l’association Des livres comme des idées en 2016 pour donner un nouveau souffle aux Rencontres. Rebelote face à la crise du Covid. L’idée d’un podcast émerge pour faire vivre en ligne ce qui n’a pas pu être tenu en présentiel. Après autant d’années, le lieu reste pourtant le même : la cité phocéenne.

« La Méditerranée ne se conjugue pas au passé »

Et quand on demande à Thierry pourquoi Marseille ? Il n’en démord pas : c’était comme une évidence. « Si on doit le faire quelque part, ce sera à Marseille », se souvient-il. Il était important pour lui, natif du sud de la France, de créer un « lieu de retrouvailles, de trait d’union » dans cette ville oh combien importante dans l’espace méditerranéen.

C’est dans un contexte d’« horizon de paix » que Thierry Fabre lance les Rencontres d’Averroès en 1994. Un an plus tôt, les accords d’Oslo entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin viennent d’être signés. Un espoir grandit dans le Moyen-Orient pour une paix durable entre Israël et Palestine. Trente ans plus tard, la tragédie humaine qui se joue dans la bande de Gaza plonge à nouveau cette région du monde, et le monde, dans l’incertitude. Thierry Fabre déplore désormais la prééminence d’un « horizon de guerre ».

En résistance à  l’actualité anxiogène, la paix s’affirme comme une valeur centrale des Rencontres. Mais ce n’est pas la seule. Le gai-savoir et le vivre ensemble en font également partie. Sans oublier le sous-titre de cet évènement : « Penser la Méditerranée des deux rives ». Il ne faut plus considérer la Méditerranée seulement comme un tombeau des anciens empires. Car pour lui, la grande bleue « ne se conjugue pas au passé ». Au contraire, tout l’enjeu est de penser l’avenir. 

Les Rencontres au futur

Quant aux Rencontres, son futur s’écrit désormais avec l’association Des Livres comme des idées qui co-porte déjà le projet depuis 2016. « Thierry s’en va mais ça continue ! » annonce joyeusement Fabienne Pavia, sa co-directrice aux côtés de Nadia Champesme. De la continuité, certes, mais de la nouveauté également !

Le changement vient d’abord du fonctionnement interne. Exit la présidence solitaire, place à une direction collective de 3 à 4 personnes aux profils variés. La parité est aussi un objectif tout à fait réalisable dans la mesure où « de plus en plus de femmes accèdent à des postes à responsabilité dans les universités ». Les personnes qui feront partie de cette direction ne sont pas encore connues mais Fabienne Pavia et Nadia Champesme admettentqu’elles resteront proches du noyau décisionnel de ces Nouvelles Rencontres d’Averroès.

Parmi les nouveautés, Fabienne Pavia évoque la volonté de relancer le Collège de Méditerranée. Abandonné lors de la pandémie de Covid-19, il s’agissait d’une université populaire avec des conférences et des projections cinématographiques toute l’année et dans toute la région. De Nice à Avignon ou de Toulon à Gap, les Rencontres d’Averroès vont à nouveau sortir de leur périmètre marseillais.

Des masterclasses sont également à l’étude dans le but d’atteindre un public plus jeune, véritable axe de développement des Nouvelles Rencontres. Averroès Junior, partie de l’événement construit avec des classes de collège et de lycée, s’inscrit déjà dans ce dessein. Il est même prévu de créer des formes live de concerts et des émissions de radio pour attirer ce public si volatile. « Le jour où il y a un de ces jeunes qui dit à ses parents : « venez, on va dimanche à la conférence », c’est gagné », confie Nadia Champesme. 

Les fondamentaux des Rencontres sont, évidemment, conservés : des conférences à la programmation culturelle le soir en passant par Averroès Junior. L’esprit aussi reste. Et à Thierry Fabre de le résumer ainsi : « On se grandit à partir de belles rencontres. »

Liza Cossard & Garis Gentet

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