dimanche 28 avril 2024
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Les Solitudes plurielles de Paolo Giordano

Tasmania, dernier roman du prodige italien, esquisse de nouvelles géographies

Voilà désormais quinze ans que Paolo Giordano s’est imposé sur la scène littéraire internationale avec le best-seller La Solitude des nombres premiers. Alors primo-romancier, le jeune turinois se voyait récompensé du Prix Strega, soit l’équivalent italien du prix Goncourt, dont il demeure à ce jour le plus jeune lauréat puisqu’il n’était alors âgé que de vingt-huit ans. Si La Solitude des nombres premiers avait alors tant séduit, au-delà de ses indéniables et nombreuses qualités littéraires qui ont donné lieu depuis à trois autres romans, c’était également pour sa capacité à saisir l’air du temps, et à conjuguer au tournant du millénaire littérature et sciences. L’histoire d’amour qui unissait ces deux êtres singuliers de leurs traumas infantiles à l’âge adulte filait la jolie métaphore de chiffres trop proches pour pouvoir s’unir ou du moins se rencontrer ; elle exposait également le monde de la recherche scientifique, ses modalités et principes, dans tout ce qu’il pouvait avoir de romanesque.

Jours de panique

C’est de nouveau par le prisme des sciences, dont Giordano, également docteur en physique, sait parler sans jamais alourdir le discours, que Tasmania aborde le monde d’aujourd’hui et son parfum de déchéance. Des attentats de 2015 à la veille de l’épidémie de COVID-19, l’auteur scrute la fin du monde attendu et la possibilité d’un renouveau tout autre. Le narrateur Paolo, journaliste et romancier, peine ainsi d’autant plus à répondre aux questions urgentes que lui posent, entre autres, la crise climatique, que celles de sa crise conjugale l’accaparent davantage qu’il ne le souhaiterait. Le portrait émouvant de sa compagne Lorenza se teinte du pessimisme que Paolo nourrit à l’encontre du monde, mais aussi des espoirs contrariés de Novelli, qui partage avec Giordano le métier de climatologue spécialiste des nuages. Ou encore des aspirations par Karol, prêtre songeant à renoncer à sa foi pour vivre un amour interdit. La peur face au terrorisme, face à l’effondrement dont Giordano esquissait les contours dans son essai Contagions, paru en pleine épidémie, entrave la quête pourtant nécessaire d’un idéal, cet eldorado qui pourrait être l’île de Tasmanie. Mais qui semble, plus que jamais, hors de portée. 

Suzanne Canessa

Paolo Giordano, Tasmania, traduit de l’italien par Nathalie Bauer. 
Éditions le Bruit du monde, 23 €
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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