mercredi 2 octobre 2024
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Lettre capitale 

Fresque familiale politique et féministe, Le désastre de la maison des notables de Amira Ghenim traverse cinquante ans d'histoire tunisienne

1935. Dans un pays en pleine ébullition politique se croisent les destins de deux éminentes familles bourgeoises : les Naifer, conservateurs rétrogrades, et les Rassaa, libéraux et progressistes. Ces derniers confient l’éducation de leurs filles au jeune Tahar Haddad, intellectuel d’origine modeste connu pour son militantisme syndical et ses positions avant-gardistes, notamment en faveur des droits des femmes – un personnage historique tunisien bien réel à découvrir. Le précepteur idéaliste tombe amoureux de la plus jeune de ses élèves, Zbeida et souhaite l’épouser. Leur amour est réciproque mais le père de Zbeida refuse catégoriquement cette demande en mariage. 

Il faut dire que Tahar n’a pas bonne presse dans le pays. Il vient de publier Notre femme dans la législation islamique et la société et prône des idées que même une famille moderne ne peut cautionner. Ali Rassaa oblige sa fille à épouser le fils d’un autre notable, Mohsen Neifer. Zbeida s’étiole dans ce mariage arrangé un époux auquel elle ne voue aucune passion et une belle famille aux mentalités réactionnaires contre laquelle elle est en conflit permanent. Zbeida prône la lecture, l’émancipation de la femme et les arts, sa belle-famille se confine dans un univers rétrograde. Jusque-là, rien que du classique.

Les femmes et les notables 

Une nuit de décembre, une lettre, écrite de la main de Tahar pour Zbeida est découverte chez les Naifer. C’est le « désastre dans la famille des notables ». Lors des décennies suivantes qui entraînent le lecteur de la lutte pour l’indépendance jusqu’à la révolution de 2011, plusieurs membres des deux familles et leurs domestiques reviennent sur les répercussions de cette funeste soirée. Chacun des récits apporte un regard et un éclairage nouveau sur le drame de cette nuit-là, ce qui l’a provoqué et ce qu’il va entraîner. Le désastre de la maison des notables, finaliste de l’Arab Booker Prize en 2021 est le troisième roman de la Tunisienne Amira Ghenim, mais seulement deux sont traduits en français. Dans une écriture psychologique flamboyante et foisonnante de précisions, elle nous fait vivre, à travers ses personnages, l’histoire des combats pour les femmes dans son pays. Il s’agit aussi d’un réquisitoire implacable sur les notables, de Tunis certes, mais qui pourraient être ceux du monde entier, leur arrogance, leur mépris de classe et leur racisme. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le désastre de la maison des notables, de Amira Ghenim
Éditions Philippe Rey – 25 € 
Sortie le 22 août
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