Le scénario co-écrit par le réalisateur et la romancière Cecilia Stefānescu s’affirme « basé sur des événements réels ». Deux cartons, au début et à la fin du film, rappellent les faits historiques et le contexte. On est en décembre 1989. La dernière dictature communiste en Europe s’effondre. Son dirigeant Nicolae Ceausescu ainsi que sa femme Elena, sont exécutés après un procès sommaire. Dans le chaos général, se joue aussi la construction du récit de la chute de ce régime.
L’Histoire est faite de ces mythes fondateurs imposés par les vainqueurs. Prendre le pouvoir, c’est aussi imposer son récit. Ici, ce sera celui de l’armée contre celui de la police et de la Securitate ( police politique) : les chiens de garde de l’ancien régime se dressent les uns contre les autres. Chacun cherche à se préserver de la colère et de la soif de vengeance d’une population opprimée, quitte à trahir, dénoncer, trouver des boucs émissaires, attiser la haine populaire par des rumeurs. Libertate nous entraîne dans cette terreur de décembre 1989, sans doute préparée depuis le printemps par des agents russes, au bilan impressionnant : en quelques jours 2 millions de balles utilisées, 500 tirs d’artillerie, 99 morts, 272 blessés.
21 décembre : le policier Viorel (Alex Calangiu) dit au revoir à sa femme avant de rejoindre le commissariat bientôt en état de siège. Des coups de feu mortels ont été tirés contre les manifestants. Nul ne connaît les responsables mais l’armée, qui a retourné sa veste de justesse, accuse la police. Les ordres sont contradictoires. Les hauts responsables fuient. La foule en colère pénètre dans les lieux, s’empare de l’armurerie.
Viorel et ses collègues tentent de s’échapper mais sont vite rattrapés par le lieutenant Dragonan (Julian Postelnicu) ivre de son nouveau pouvoir de vie ou de mort. Les femmes arrêtées sont gardées à part. Les hommes sont parqués dans le bassin vide d’une piscine olympique, autour duquel, les surplombant, de jeunes recrues, mitraillettes au poing, les surveillent.
La liberté se carapate
Dans ce lieu improbable, à côté des policiers et des miliciens de la Securitate, on retrouve des individus raflés dans les rues, pour avoir empoisonné soit disant l’eau de la Ville, ou surpris en possession d’une arme… Tous sont taxés de « terrorisme ».
Après les séquences vertigineuses de la première partie, en immersion dans le chaos et la violence – caméra portée, plans séquences haletants, montage nerveux- le film d’action devient un film de prison. La vie s’organise dans le bassin : partie de foot improvisée avec un ballot de tissu, jeux de cartes, bras de fer. Les policiers prisonniers enquêtent sur ces fameux tirs, prétextes à leur incarcération. L’humour roumain s’insinue dans les dialogues et les situations. Pas de héros ici. Pas beaucoup d’innocents non plus. Des salauds, des lâches, des opportunistes. Des hommes qui ont peur, plus préoccupés par le baptême de leur fils ou leur divorce que par la grande Histoire qui s’écrit. Seul le jeune révolutionnaire arrêté sur un malentendu semble « pur ». C’est sur son corps endormi en position fœtale, à même le carrelage, que s’achèvera le film. Puis sur la piscine remise en eau, laissant libre cours à notre imagination.
ELISE PADOVANI
Libertate de Tudor Giurgiu
En Salles le 21 mai